Valmy, le Burkina et le mugissement des féroces soldats
J’hésite à évoquer de nouveau le profond malaise que j’ai ressenti au cours des dernières 48 heures, où nous avons débattu à l’Assemblée du texte « maîtrise de l’immigration ». Mais je n’ai qu’un court moment avant le Conseil Socialiste de ville, ma journée a été grandement occupée de cet art particulier qu’ont les hommes de donner de l’importance à ce qui n’en a pas, je reviens donc sur ces deux journées.
Le texte de la loi n’est pas innocent. Son but parait simple : limiter l’immigration au titre du regroupement familial. On peut discuter du sujet, il ne me parait pas dominer le dossier de l’immigration car il touche un nombre relativement réduit de personnes, en grande majorité des femmes et des enfants, ce qu’on oublie de dire et de répéter. Non vraiment, ce n’est pas l’urgence de ce début de siècle de priver de famille ceux qui ont un travail légal en France, non plus que ceux qui sont tout bonnement Français et ont commis le crime de lèse-Sarko d’épouser un étranger.
Bon d’accord, je suis un poil polèmique par cette dernière partie de phrase, ou du moins par sa formulation, car c’est la stricte réalité.
Le moyen de cette limitation est soi-disant la connaissance du français et des valeurs de la République. Ce qui a valu, en réponse à nos interventions, quelques belles envolées de M Mariani ou de députés UMP particulièrement éclairés « Mais alors, est-ce que vous n’aimez pas la langue française ? N’honorez-vous donc point les valeur de la République ? »
Quand on me prend ainsi, à la notable, ne le dites surtout à personne, j’ai envie de répondre « la langue française, je m’en fiche, la République, je m’en tape, tout ça c’est du flan ! ».
Ou encore, dans un registre tout différent, de monter d’un cran dans la notabilité, de citer Lamartine ou Paul Déroulède, au choix… Bon, passons.. Revenons à la loi.
Le moyen donc qu’a trouvé le ministre Hortefeux de maîtriser les « flux migratoires », c’est la connaissance du Français et des immortelles valeurs de la République, connaissance sanctionnée par un test, de nature non précisée.
C’est là que le député UMP (je parle du député UMP de référence) a débordé de propositions. L’un (M Mariani lui-même) a proposé de rédiger un opuscule sur les 100 valeurs clefs de la République et le moyen de les éprouver. Avec ma voisine de rang, nous n’avons été capables de trouver que trois questions vraiment pertinentes
1 – Quel est le nom du Président de la République ?
2 – Quel est le prénom de son épouse ?
3 – Où passent-ils leurs vacances ?
Même à cela, je ne suis pas sûre qu’une femme Burkinabe analphabète, ou un écolier d’Oulan Bator, ayant l’un et l’autre fait à leurs frais 1000 kms pour se rendre au Consulat le plus proche passer le test, sache répondre. Il faut mieux faire connaître la République.
Un autre député a proposé que langue française et valeurs de la République puissent être « testés » par une épreuve souveraine : la connaissance et la compréhension du premier couplet et du refrain de la Marseillaise.
Fulgurant ! J’avoue que la réponse à cette proposition a été ma seule part au débat. L’épouse burkinabe ou le petit oulan batorien de tout à l’heure seront en effet utilement testés en récitant et expliquant des phrases comme « qu’un sang impur abreuve nos sillons », ou encore « entendez vous mugir ces féroces soldats? »…
« L’étendard sanglant est levé », lui-même, est difficile à faire passer à nos propres enfants sans leur expliquer en deuxième semaine, et retour en troisième semaine, le contexte historique de ces mots. Reportez-vous au texte, il faut vraiment penser à Valmy et aux jeunes poitrines qui s’offraient aux baïonnettes ennemies pour comprendre et accepter.
Mais Valmy, c’est loin du Burkina et moi, je me suis laissée complètement dérouter de l’explication de mon malaise pendant ces deux jours.
Pourquoi donc : parce que le ministre lui-même ne croyait pas à ce texte, qui n’est qu’une sorte d’avoine donnée aux ânes pour fixer l’électorat de la droite de droite avant les municipales. L’arsenal législatif n’existe déjà que trop. Le regroupemement familial peut attendre des mois ou des années avant que l’on ait trouvé l’homme qui a vu l’homme qui sait quel papier il faut fournir en trois exemplaires tamponnés et certifiés par l’état civil local.
Parce que, je vous le disais tout à l’heure avec une familiarité qui ne m’honore pas : cette loi, c’est du flan médiatique.