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Gardienne intérimaire de phare

Temps et mer de tempête. Pluie presque continue tout au long de la journée. Par ce temps, j’habite une sorte de bocal, dont l’eau serait à l’extérieur. Entre la mer et moi, il n’y a que l’épaisseur de ma fenêtre et un invisible rideau de pluie.

Ces circonstances sont très favorables à une activité dont je suis très peu friande : la transcription des cassettes que j’enregistre en marchant. Beaucoup ont ainsi passé au travers et je les retrouve dans des tiroirs ou des fonds de sac, pour finir par les réunir dans un petit carton « cassettes d’époques diverses » qui me semble dévolu à l’oubli des générations futures.

Par moments, le ciel s’éclaircit un peu. Une barre de lumière tombe sur l’écume qu’elle rend d’une blancheur presque aveuglante. Tout autour de moi est spectacle. Cela ne pourrait sans doute durer très longtemps : l’habitude d’agir, de bouger, de m’agiter ferait de moi un piètre gardien de phare. Mais venir là comme pour des retrouvailles, y restaurer dans ce silence bruyant la force de travail (on remarquera au passage l’habile incidente marxiste !), me remplir d’air et de large, j’espère ne pas en être privée avant longtemps.

Multiple splendeur (suite)

Multiple et mobile splendeur, disais-je dans le blog* avant de partir et j’ai été aussitôt entendue. Le vent s’est levé en bourrasques, la mer s’est hérissée de crêtes blanches jusqu’à l’horizon et je marche maintenant contre vents et marées, dans le brisant tumultueux des vagues, protégeant le magnéto de mes deux mains pour tenter au retour de discerner ma voix au milieu des grondements du vent. La mer est bien belle quand elle est en colère. Un mari amoureux pourrait le dire d’une femme. Tous les amoureux sans doute et d’abord ceux qui le sont des horizons sauvages. (…)

Des roulements graves presque incessants disent mieux que tout autre signe la dangerosité de l’océan. Le mouvement régulier de la mer s’est mué en dieux wagnériens prêts à avaler promeneurs et baigneurs ne se tenant pas à respectueuse distance. Dans ce vent intense de pointe du raz, on ne peut guère se promener épaules découvertes sans être répidement glacé. Une poudre d’embruns couvre les reliefs de la plage et voilent l’horizon. Les lames montent haut et lissent le sable d’un coup, effaçant les pas qui m’ont précédée.

Des dizaines de pages de mes cahiers, des boites entières de cassettes portent ces notations. Leur date est sans importance, le temps est plus immobile ici que partout ailleurs. Il y trente cinquante ans, et même bien avant que je ne les ai perçus moi-même, la mer était toute aussi imprévisible, le vent fantasque, le soleil prompt à se cacher et à réapparaître. J’imagine souvent que Montaigne à cheval aurait pu descendre sur ces côtes et peut-être l’a-t-il fait même si les essais n’en disent rien. Montaigne n’était pas Chateaubriand, les espaces marins ne l’attiraient pas, sans doute le temps n’en était pas venu encore.

On s’inquiète beaucoup aujourd’hui que les côtes reculent, effet parmi tant d’autres du réchauffement climatique et de la fonte des glaciers ; deux cent metres en cinquante ans dans je ne sais quelle plage de la manche. Dans les mêmes cinquante ans ici, la dune a changé, elle s’est arrondie et éboulée, avalant tour à tour les trois blockhaus que les bétonneurs acharnés que nous a momentanément prêté l’armée allemande, avaient planté à sa crête de kilomètre en kilomètre. Toute enfant, mes promenades avaient pour but l’un ou l’autre de ces trois blockhaus. Le troisième, le plus lointain, n’était autorisé que sous surveillance et il représentait un peu la dernière redoute d’où les lieutenants du désert des tartares surveillaient l’horizon silencieux. C’est celui que le sable a avalé le plus tôt, donnant ainsi à mes longues marches l’absence de limites définissables qui leur convenait.

Le premier blockhaus, visible de la maison, s’est d’abord éboulé par gros pans jusqu’à mi-dune. L’un est ressorti un jour du sable, portant en Allemand l’inscription « Lebens gefahr » à laquelle sa position et son état donnaient un air de dérision. « Lebens gefahr » signifie danger de mort, mais la langue allemande utilise la formule à son contraire « danger de vie ». L’année suivante, le blockhaus a fini d’être enseveli. Le temps et l’Histoire avaient fait leur office.

  • enregistré le 15 aout sur la plage, transcrit le 16

Multiple splendeur

Journée de très grand bleu que je vais inaugurer, après un tour d’ordi et un peu de remise en état, par une longue marche en bord d’océan, magnéto en mains.

La plage est encore presque déserte, déroulée comme un tapis sans fin devant les pas des marcheurs. Ici, littéralement, la vie est belle. Il n’y a pas de jours, pas d’heure, sans un spectacle nouveau. Aujourd’hui, le contraste entre cette plage dorée et chaude et ces hautes vagues de marée bretonne, bruyantes, violentes, désordonnées.

Cela me fait souvenir d’un très beau titre d’Han Suyin « Multiple splendeur ». Multiple et mobile splendeur, le spectacle de la mer, mélangeant les couleurs autant que les sentiments, la fraîcheur des vagues s’accomodant de leur force irrésistible, leurs dos arrondis et réguliers des courants souterrains et des lames profondes.

Je pars « faire le juif errant », comme on le disait quand j’étais petite. Si Dieu me prête voix, je vous raconterai.

Rhinolophus hipposideros

Le livre de l’humour allemand est classé, d’après de très mauvais langues, parmi les livres les plus courts du monde, au même titre que le who’s who norvégien, le Kama Sutra suisse (si du moins on peut appeler ainsi un précis d’érotisme destiné aux habitants du canton de Berne ou de Zürich)…

Quoi qu’il en soit, cette classification est certainement partiale ; les Allemands ont occasionnellement de l’humour, en règle quand ils ne le cherchent pas. A preuve cette histoire, fraichement tombée de l’édition du jour de la Suddeutsche Zeitung.

L’histoire en question mérite un détour. Dans la bataille « pour » et « contre » le pont Bacalan-Bastide, les militants de l’association Garonne-Avenir ont très justement fait valoir qu’un pont semblable avait été recalé par les experts de l’UNESCO dans la perspective du classement de la ville de Dresde au patrimoine mondial.

Jamais je n’ai pu avoir de réponse en Conseil Municipal sur l’avis qu’avaient pu exprimer les experts sur le projet bordelais. A Dresde, la politique est plus transparente, et l’on a appris que le classement risquait d’être révisé par l’UNESCO si les travaux du pont étaient entrepris. Ces travaux devaient commencer aujourd’hui même, la municipalité de Dresde ayant décidé de ne pas se laisser impressionner par quelques expertillons qui ne connaissaient rien de l’histoire allemande et n’avaient rien à faire de son avenir…

Plus fin larron a été le tribunal administratif de la dite ville. Rien de plus tatillon qu’un juriste allemand. Pas forcément rapide, mais plus malin qu’il n’y parait.

Les juristes du tribunal administratif ont ressorti d’un tiroir un arrété de la cour administrative fédérale exigeant que tout projet immobilier majeur prenne rigoureusement en considération tous les aspects écologiques pertinents.

Il n’en fallait pas tant aux juges… Et c’est là qu’intervient Rhinolophus hipposideros, dont le nom n’indiquait pas au premier regard qu’elle était citoyenne allemande. Pire encore, qu’elle risquait de ne pas le rester longtemps : Rhinolophus hipposideros est une espèce rare de petite chauve-souris. Il n’en resterait que 650 exemplaires en Allemagne, toute réunifiée qu’elle soit.

Pouvait-on commencer des travaux alors que rien n’était garanti de l’impact du pont sur la survie de Rhinolophus ? Etait-on en droit d’engager un projet sans tenir compte du principe de précaution qui veut que rien ne puisse être construit ni érigé sans que les 650 représentants connus de cette minorité de moins en moins visible soient protégés ?

Bien sûr que non. L’Allemand est prudent, surtout quand il est juriste. Le tribunal a statué pour que les travaux ne soient pas entrepris.

En codicile, les juges ont également indiqué qu’on n’avait aucune garantie sur l’impact des éclairages distribués par les lampadaires sur les insectes du lieu…

Quand je vous disais qu’il fallait au moins un chapitre au livre de l’humour allemand ?

Brève de villégiature

« Villégiature », bien de saison en ce mois d’août, compte parmi mes mots favoris. Il a un petit parfum désuet et assez chic qui me le rend, convenons-en, plus amical encore que le mot « vacances », que je préfère curieusement au singulier. La « vacance » de l’esprit qui rêve, qui fait la sourde oreille à toutes les choses vilaines et méchantes du monde, est un état très désirable, même s’il n’est pas durable. (Et, en ce moment, tout ce qui n’est pas « durable » a du soucis à se faire).

Villégiature, donc. Mot privilégié, qui désigne à la fois le lieu géographique où l’on se retire, l’habitation choisie pour cela, et la période où on a la chance de le faire. Je ne sais pourquoi, il évoque bien davantage pour moi Biarritz à l’époque où les hommes jouaient au tennis en pantalon de fine laine blanche et où les femmes se baignaient en Esther Williams, que Wolfeboro et qui vous savez.

Qu’est-ce qu’un Esther Williams ? Question importante, à laquelle il convient sans délai de trouver réponse dans le blog d’une députée socialiste. Beaucoup d’ailleurs le savent, ou s’en souviennent en revoyant l’actrice du même nom, ou encore Grace Kelly dans des films d’époque. Une ébauche de jupe couvrait le départ des cuisses, et les épaules étaient demi-cachées par de larges bretelles. Incroyablement BCBG (pour mémoire : Bon Chic, Bonne Gauche) et d’une élégance absolue.

Il y a des brèves de comptoir. Celle-ci en est une de villégiature, ma villégiature, à la fois très près et très loin.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel