Une Marie-Chantal américaine
C’est une Marie-Chantal américaine, ou du moins américanisée, qui nous a présenté hier le projet de loi « Travail, emploi, pouvoir d’achat » ; c’est elle aussi qui l’a défendu cet après-midi lors de la présentation des amendements.
Je devrais dire qui le défend, car la séance a lieu en ce moment-même, je m’en suis absentée avant que la sonnerie qui rythme les séances comme une cloche d’école ait résonné.
Cette Marie-Chantal c’est la ministre Christine Lagarde, dont j’attendais plus d’engagement, ou plutôt un engagement plus profond, mieux argumenté, alors qu’elle nous a servi une leçon de morale façon XIXème siècle, revisité à la mode de wall-street. Christine Lagarde a « bon air », selon une expression qui m’est chère : silhouette contemporaine, sourire plaisant, allure rapide, et avec le parti pris favorable que j’ai bien souvent à l’égard des femmes, j’espérais qu’elle nous présenterait le plat indigeste de cette loi avec la vivacité qu’elle parait dégager.
Au lieu de cela, une légitimation complètement hors de saison du travail. Les amis du blog savent que cette valeur ne m’est pas étrangère, que j’y crois au plus profond de mes fibres. Dans ma campagne de 2004, et alors que personne n’en parlait ainsi, le plus gros chapitre de mes documents était consacré au « travail, une valeur de gauche ». Mais le travail qui me porte et que je veux porter est un travail qui émancipe, et un travail qui manifeste notre part dans le fonctionnement de la société. Ce n’est pas le travail de la période d’industrialisation du XIXème siècle, seul moyen d’accéder à des moyens de subsistance et si, j’ose dire, matière première du capitalisme débutant.
C’est ce travail-là que nous a servi Christine Lagarde, après un long bla-bla de condamnation de l’oisiveté « mère de tous les vices ». Non, elle n’a pas utilisé la formule, mais c’était le sens de toute l’introduction de son exposé et elle a eu cette formule incroyable « on pense trop en France. Arrêtons de penser, relevons-nous les manches ! »
Quel est donc ce travail qui est le contraire de la pensée ? Certainement pas le mien, qui en est la base, l’accompagnement et le prolongement.
Le travail de Christine Lagarde, c’est d’abord celui qui permet de produire plus. « Travailler plus pour produire plus », quel stimulant ! Plus grave encore, c’est celui qui parce qu’il produit plus, permet de gagner plus ! Le travail de Christine Lagarde ne permet pas de gagner plus parce qu’il permet d’avancer, de se former, d’apprendre, de réaliser. Non, c’est le sombre travail, la tache, qui grâce aux heures supplémentaires, permet d’améliorer la feuille de paye. Les travailleurs de Christine Lagarde sont des travailleurs payés à l’heure.
Pourquoi Marie-Chantal ? Parce que les exemples qu’elle a pris pour illustrer son projet de loi étaient tous issus de l’univers des Marie-Chantal contemporaines. De quoi s’émeut-elle? Des évadés fiscaux qu’on voit chaque vendredi sur les quais de l’eurostar quand ils rentrent de leur semaine à Londres. Qui veut-elle aider ? Et je garantis la vérité de ces exemples émouvants : les couples qui ayant acheté une maison de 800 000 euros et dont les héritiers ne doivent pas bourse délier. Mieux encore, ces mêmes héritiers, si leurs parents ont une maison d’un prix double (1 million 600 000 euros) qui grâce à elle n’auront à débourser pour hériter que 20 000 euros.
Pourquoi américaine ? Christine Lagarde était à la direction d’un cabinet d’avocats d’affaires à Chicago. Elle a l’assurance de métier, l’aisance un peu hautaine et jusqu’à l’élégance sobre des femmes en haut de l’échelle professsionnelle aux Etats-Unis. Elle n’a jamais été élue, jamais même confrontée au monde politique « de base » que nous représentons. Elle ne connait pas d’autres milieux que le sien. Où que l’on soit, c’est un des pires handicaps.
La loi sera votée, aucun de nos amendements probablement ne sera retenu. Treize milliards d’euros à la charge de l’Etat, qu’il faudra bien trouver quelque part.