De la violence, on dit qu’elle naît de l’incapacité à exprimer autrement. Et c’est fondamentalement vrai. Dans une situation de conflit, celui qui ne maîtrise que quelques centaines de mots de la langue parlée par tous, s’exprime plus immédiatement par la violence que par toute autre forme de dialogue. Beaucoup d’entre nous en font l’expérience pour eux-mêmes. Un texte que l’on écrit d’un jet et qui miraculeusement met en ordre ce qui s’accumulait en soi, apaise la part de violence en chacun de nous. La pulsion devient raison, le geste destructeur matériau de construction.
Violence aussi, ce renoncement au contrôle de soi que tant d’activités contemporaines favorisent. J’ai parlé à plusieurs reprises dans ce blog d’un ouvrage américain du scientifique Roy Baumeister « The loss of control » qui démontre les incitations à la pulsion dont sont porteuses l’éducation, la publicité… et dont profite aujourd’hui l’explosion des troubles comportementaux (obésité, addictions de toutes sortes..) et des modes violents d’expression. Analyse n’est pour autant pas remède, autre qu’individuel. A mieux se connaître, on ne trouve pas pour autant de meilleures armes pour améliorer la société.
« Que faire devant la violence ? » interroge Jean-Claude Guillebaud dans sa chronique de « Sud ouest dimanche ». Pour lui non plus, analyse n’est pas solution. La permissivité de la société est plus elle-même une conséquence qu’une cause et la violence n’est qu’une suite de ce désamour du contrôle de soi et de tout ce qui en relève. Sommes-nous trop riches, trop en paix (je parle des pays occidentaux) pour être capables de porter encore les valeurs de résistance et d’exigence qui ont animé quelques-uns de nos grands modèles des siècles passés ? On rigolerait d’un politique qui se réclamerait du stoïcisme, d’un écrivain qui citerait Sénèque ou Montherlant parmi ses modèles ; ou de quiconque se prévalant de ces vertus austères, aussi démodées que le corset des femmes, qui régissaient la vie privée du Général de Gaulle.
Un point que Guillebaud n’évoque à aucun moment : la drogue. Sans doute n’est ce pas la cause elle non plus -ou du moins pas directement-, mais elle en est aujourd’hui le combustible habituel de la violence, à tous les âges et dans toutes ses variantes. L’usage presque banalisé de produits psychoactifs licites (alcool, de plus en plus consommé par « shoot ») ou illicites (cannabis, amphétamines et produits dérivés, substances de synthèse, héroïne, cocaïne..) sous-tend désormais l’atmosphère de « violence à tous les étages » que nous rencontrons au quotidien.
Les pédopsychiatres constatent un usage de plus en plus précoce qui explique des comportements violents à des âges où ils étaient exceptionnels. Dans un affrontement politique récent, j’ai pu « lire » dans les yeux d’un des manifestants des signes qui n’étaient que trop évidents d’imprégnation. Jusqu’aux terroristes, dans un tout autre ordre de gravité, qui usent des drogues pour combattre et pour perpétrer leurs crimes.
Une fois encore le dire librement ne suffit pas mais l’ignorer serait une erreur. La drogue n’explique pas tout, mais elle amplifie, diminue la possibilité que nous avons de contrôler la violence et elle la rend contagieuse. Elle fait désormais partie de ce jeu terrible qui a si fortement élevé notre seuil de tolérance à la destruction et au crime.
La violence doit être constamment remise à sa place, y compris quand on la rapporte. On peut lui chercher des explications mais jamais des raisons ; ne jamais la légitimer en donnant plus de place à celui qui a levé la main qu’à celui qui l’a retenue et a cherché à expliquer. Même et surtout quand c’est la violence qui a paru gagner, il faut dire et redire qu’elle est une manifestation d’impuissance, un échec, qu’elle détruit tout, y compris le message dont elle prétend être porteuse. Et qu’in fine, c’est la démocratie elle-même qui est menacée.