L’aberration durable
Un exemple de ces enchainements aberrants produits par notre société. Il n’est ni le plus frappant, ni le plus aberrant, mais il est incontestablement de saison !
Les hivers sont moins froids et la neige plus rare. Nombreuses sont les stations dans tous nos massifs montagneux qui s’inquiètent : elles ont fait de lourds investissements, souvent au prix d’un endettement, embauché des saisonniers, et voient arriver la haute saison avec inquiétude. Réponse des plus entreprenantes : elles couvrent leurs pentes de neige artificielle pour ne pas décourager la venue des skieurs.
Monsieur le la Palisse ne dirait pas mieux : la neige artificielle n’est pas la neige naturelle ! Elle est grandement plus coûteuse mais elle est aussi rapidement plus dure et on la distribue, en raison de son coût sur des surfaces plus étroites, ramassant les skieurs sur des pistes réduites.
Résultat : le nombre et la gravité des accidents augmente. La dureté du sol, les bousculades en raison de l’affluence sur ces pistes réduites ont déjà fait leurs effets sur les pistes alpines : plusieurs morts et des traumatismes très lourds entrainant tétra- ou paraplégie. Les journaux allemands sont aujourd’hui plein de mises en garde : pas de ski sans casque, alerte aux secouristes… On prévoit dans le seul Tyrol, 17000 accidents graves pour les deux ou trois mois à venir.
Encore un exemple donc où l’on confie à la médecine (en l’occurence à la chirurgie orthopédique) ce que l’on ne sait/veut pas pallier autrement. Rien de critiquable dans le développement des stations de ski, dans les emplois qu’elles créent, malgré leur caractère saisonnier. Moins critiquable encore le fait que les skieurs soient infiniment plus nombreux que dans mon enfance.
Et pourtant, au lieu de dire : il n’y a pas de neige, mais vous pourrez marcher, faire beaucoup d’autres sports, on dit « mettez un casque » et on augmente le nombre d’orthopédistes dans les hôpitaux voisins des stations.
Je vais donner un autre exemple où l’aberration est beaucoup plus criante. Ceux qui me connaissent ne s’étonneront pas que j’aille le chercher dans le jeu. C’est un sujet que j’ai étudié plus que d’autres, mais surtout l’aberration y parait absolue.
L’addiction au jeu se développe en fonction de l’offre. Ce point qui parait simple est déterminant. Autrement dit, le nombre de cas pathologiques dépend en proportion directe du nombre machines à sous proposées et de l’amplitude horaire de leur mise à disposition. Je focalise d’emblée sur les machines à sous, car c’est de très loin le mode de jeu le plus addictogène. Elles se comportent exactement comme une drogue chimique, sans doute parce qu’en plus de l’enchainement jeu/espoir de gain/re-jeu s’ajoute une stimulation physique stressante elle-même génératrice de la sécrétion de neuro-médiateurs par le cerveau.
Tout homme sain d’esprit et ayant le sens du bien commun dirait : limitons le nombre de machines à sous et l’amplitude horaire, ne les plaçons pas à proximité des lieux où les cas de vulnérabilité sont les plus nombreux.
Là s’ajoute une notion nouvelle : la vulnérabilité ; elle est aggravée -tout cela est démontré par de nombreuses études issues des centres de recherche les plus prestigieux- par des conditions sociales difficiles, des tendances dépressives souvent liées à une estime altérée de soi, le chômage et/ou de faibles revenus…
Mais notre société n’est plus saine d’esprit, et les politiques qui peuvent (comme nous aussi d’ailleurs) influencer son cours ne savent pas édicter des règles simples. Cela commence pour l’environnement et nous connaissons des convertis récents au problème qui comme tous les convertis récents sont les plus grands prêcheurs. Ce n’est absolument pas le cas pour cette écologie centrée sur l’homme, cette « santé durable » , que je voudrais porter.
L’aberration vient maintenant : au lieu de prendre des mesures pour cette réduction du nombre et du temps de machines à sous, on demande aux chercheurs de chercher les facteurs de cette vulnérabilité. Les facteurs sociaux et sociétaux, on les connait, mais ils ne sont probablement qu’aggravants ou révélateurs. N’y aurait-il pas là-dessous quelque facteur génétique ?
Et l’on finance des instituts de recherche pour trouver le gène. On l’a d’ailleurs probablement trouvé, même s’il n’est probablement pas unique). Demain on financera d’autres instituts pour trouver la thérapie génique (remplacement ou destruction du gène coupable) permettant même quand on est pauvre et isolé de ne pas verser dans la dépendance. Dans l’intervalle, combien de suicides, de vies ruinées, d’hospitalisation en milieu psychiatrique que l’on aurait pu éviter.
C’est un résumé des aberrations de la société. Il pourrait être la base d’une parabole. Il suffit de diminuer l’offre pour diminuer le risque, mais diminuer l’offre c’est diminuer les profits des machines à sous .. Vision à courte vue. Les dégâts sont beaucoup plus coûteux que les profits et les personnes exclues du fait d’une addiction au jeu sont effroyablement coûteuses humainement mais aussi en terme strictement financier. Le raisonnement est le même pour la défense de l’environnement ; je n’ose pourtant espérer rallier ces nouveaux convertis dont je parlais.
Tiens, ce sera mon premier voeu de nouvel an !