Bonheur d’une journée qui va à son rythme dans la douceur d’un automne qui n’en finit pas de commencer. J’ai fait un feu symbolique de petites branches tombées, de vieilles factures, de réclames d’Auchan et de tous ces emballages imbéciles qui ne servent à rien. La cheminée fume et fait en ce moment un petit bruit tranquille et rassurant. La vie pour une fois prend le temps de remarquer qu’elle est la vie, pas toujours facile mais toujours trois fois meilleure que la mort. Je le reconnais, je vis toujours dans cette dualité : dans mon petit univers de silence et de ce doux mélange de chaleur et de froid que donne la compagnie d’une cheminée, je suis suspendue aux nouvelles de Mme M., pas si loin de mon âge et, en ce moment, dans ce petit bateau blanc et étroit qu’est un lit d’hôpital, dont on ne sais jamais bien où il mène.
Ce matin sur France-culture (que par gentille dérision j’appelle France-cul), j’ai péché au vol cette phrase de Montesquieu « les hommes ne sont pas pauvres parce qu’ils n’ont rien mais parce qu’ils ne travaillent pas ». Est-ce que nous ne sommes pas sur le chemin de renverser la proposition : « les hommes ne travaillent pas parce qu’ils n’ont rien » ? La pauvreté a changé mais elle reste la pauvreté. Sa dimension sociologique, l’exclusion, a presque pris le pas sur elle : les pauvres sont des exclus mais les exclus ne sont pas seulement, des pauvres.
Cela me ramène à un long échange, à la suite du billet précédent, avec un de mes commentateurs (Lucas Clermont et ceux qui l’ont suivi). Cet échange ne m’a pas laissé tout à fait tranquille et sa pensée a cheminé tout au long de cette journée. Dans le petit univers clos et silencieux où je suis à l’instant, je mesure à quel point je ne serais pas la même dans deux pièces d’une tour où vivraient cinq personnes et une télé toujours ouverte. Qui mesure sa chance, mesure sa dette.
C’est presque l’essentiel de ce que je pense, et je l’ai exprimé déjà, mais je n’ai pas de scrupule à répéter : nous vivons tous sur deux ou trois idées, que nous déclinons à l’infini. L’idée dont je parle ce soir est simple : nous n’avons chacun qu’une seule vie. C’est le nœud fondamental de notre égalité, une sorte de noyau de l’atome entre tous les hommes. Pour aucun, il n’y a de session de septembre, de deuxième vie, d’au delà où les cartes seront rebattues, où nous pourrons recommencer comme si de rien n’était. Nous devons aider autour de nous à ce que cette vie ne soit pas gâchée. A un moment ou à un autre, nous en avons tous eu besoin. Mais la responsabilité du politique est plus générale et elle n’est pas seulement circonstancielle. Je n’aime pas trop le terme (je vais me faire pleuvoir sur le dos) « égalité des chances ». Ce sont les moyens de l’égalité qu’il faut donner, les moyens de l’autonomie, de la santé…. Après, il y a la liberté de l’homme et, juste en face, son contraire : la maladie, l’accident, l’inéluctable.
Qu’est ce qu’un blog ? Ce matin, sur France-cul encore, une émission passionnante sur les liens entre l’écrit et l’oral… dans la rome antique ! Entre Sénèque et Cesar, on s’est quand même permis quelques petites intrusions dans les siècles suivants, sans aller cependant jusqu’au nôtre. Il me semble que le blog pose de nouveau la question. En écrivant ce soir, j’ai bien davantage l’impression de parler, de converser, de dire, d’être avec. Sur cet écran fluide (celui lequel je serai lue aussi), l’écrit n’a pas tout à fait la même matérialité que dans un livre dont on sent le poids dans sa main. Nous sommes dans une forme impalpable, nouvelle.