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Régler les pendules à l’heure de la longévité

Le groupe AÉSIO vient de publier un sondage qui montre le retard de la prise en compte de la longévité dans les mentalités. La question est « A quel âge est-on considéré comme âgé dans la vie en France ?
Trois différentes réponses :
-dans la vie professionnelle, à 57 ans.
-dans la vie en socièté, à 64 ans.
-dans la vie personnelle, à 68 ans

Laquelle de ces réponses est la plus décalée ? Sans doute, la première, au regard de l’âge de la retraite mais surtout de l’emploi des seniors. L’épidémie de départs anticipés qui a été largement favorisée il y a une dizaine d’années a radicalement dégradé l’image du senior en emploi. S’il peut partir plusieurs années avant l’âge légal, c’est donc qu’il est moins utile et moins productif. Deux conséquences gravissimes : plus propositions de formation, ni plus de promotions après 55 ans. La France tient de ce point du vue un rang catastrophique parmi les pays européens.
Deuxième conséquence : ce senior dévalorisé est plus qu’un autre absentéiste, y compris dans les métiers sans pénibilité physique ce qui ne fait qu’aggraver la boucle de dévalorisation.

Agé dans la socièté ? A 64 ans, au contraire, les sexagénaires constituent le pivot de notre cohésion sociale dans les associations, les municipalités, les partis politiques et bien sûr les familles, quand ils ne sont pas toujours en activité et heureux de l’être.

Dans la vie personnelle ? Les réponses sont là bien sûr plus individuelles. Mais j’invite les sexagénaires avant de se découvrir âgés à comparer leur état physique, leur capacité à se déplacer, à voir, à entendre.. à ceux de leurs parents et grands parents.

Mais c’est bien sûr la longévité qui doit retarder les pendules. Peut-on être considéré comme âgé au travail quand on a EN MOYENNE 35 ans d’espérance de vie ?

Même chose pour l’âge dans la socièté : à 64 ans est-on décidément un « géronte », bon pour le « retrait », non seulement du travail, mais de la participation à la socièté et à sa construction. Examinez l’âge de personnalités politiques, artistiques, scientifiques.. que vous jugez comme utiles et productives, vous serez sans doute surpris ..

Il est sans doute plus difficile de statuer sur l’âge dans la vie personnelle et l’on ne peut s’exprimer que pour soi et si je propose à chacun de répondre pour lui-même, je le fais aussi, simplement. Si une de mes pattes arrières me fait dire « Aië ! » plus qu’à mon goût, je peux la réparer, changer des pièces et améliorer la situation. Pour le reste, je suis « âgée » mais simplement comme on est « jeune ». Je ne considère ni mon conscrit @JY_LeDrian , ni moi-même comme une « personne âgée » et j’ai détesté le nom de mon ministère « aux personnes âgées » tellement celles-ci ne sont qu’une partie du champ que nous a ouvert la transition démographique.

« Âgée », comme les jeunes sont « jeunes »

Je suis « âgée », comme les jeunes sont « jeunes ». Ni plus, ni moins. Ni « personne âgée » qui évoque derechef la marche hésitante et la fragilité du cerveau. Croisant le Maire de Bordeaux, auriez-vous l’idée de dire « ah, tiens, j’ai rencontré une personne âgée ». La réponse est évidemment « non » et j’espère qu’il en serait de même pour Jean-Yves le Drian, Dany Cohn-Bendit, et .. pour moi : nous sommes, tous les 4, « conscrits » .

« Âgés », donc, pas « anciens », pas même « seniors », pas non plus « vieux ». Moins encore, si ces termes sont agrémentés d’un détestable pronom possessif « nos anciens », ou pire encore de quelque qualificatif du genre « les petits vieux ». « Âgé » dans sa simplicité dit l’exacte vérité et constitue l’exact contraire de « jeune ». Âgée, je suis, âgée je reste, juste au jour où j’accéderai au grand âge et où je l’avoue, je préfèrerai « grand âgée » à « petite vieille ».

Sans importance le vocabulaire ? Tout au contraire, il est la base de tout, de l’image que l’on se fait et qu’on donne de l’âge. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », et j’ajouterais : simplement. Dire les choses dans leur vérité nue, sans s’emberlificoter de formules, toujours aussi maladroites que délétères, démontre d’une gène, voire d’une incapacité à concevoir. C’est en partie ce qui explique la difficulté des hommes politiques à parler de l’âge et du vieillissement de la population, comme de tout ce qui concerne la transition démographique. Je dis bien « les hommes politiques » : les femmes du même métal sont beaucoup plus à l’aise, ne serait-ce que pour dire, et même affirmer, leur âge.

Mais justement que penser des mots « vieillir » et « vieillissement » ? Qu’ils sont porteurs d’une nuance d’amoindrissement et de limitation. Il nous manque un verbe qui existe en anglais (to age, qui donne par exemple « active ageing »). La traduction la plus proche en français est « avancer en âge », qui n’a pas cette jolie simplicité de son équivalent anglais. « Vieillir », c’est un peu comme « diminuer en âge » et si cela peut être juste (« elle a beaucoup vieilli »), ce n’est pas obligatoire : les années peuvent s’empiler sans régression justifiant d’être contenue dans le mot.

Cette semaine est celle de « la langue française et de la francophonie ». Profitons-en pour essayer de gagner la bataille du langage de l’âge, ce qui permettra de libérer la parole de tous ceux qui ne savent pas se débrouiller du sujet (médias, élus ..) . Et, autre exemple, renonçons pour toujours à l’horrible expression de « maintien à domicile » qui fait froid dans le dos pour la remplacer par « soutien à domicile » qui, lui, est bien souvent nécessaire et légitime…

De l’âgisme au dégagisme

La parenté de son entre deux mots n’est jamais tout à fait indifférente. Deux, relativement récents, et l’un et l’autre en pleine expansion, le confirment ; Le premier, « âgisme », né en 1969 de la bouche d’un gérontologue américain, signifie « discrimination du fait de l’âge » ; le second « dégagisme » est devenu populaire à la faveur du printemps arabe  (2011). Il a aujourd’hui droit de cité dans notre pays pour exprimer la volonté de « dégager » ceux qui étaient antérieurement en situation de  pouvoir.

Subrepticement, les deux mots se sont largement rapprochés. « Dégagisme » a couvert bientôt la volonté de voir des têtes nouvelles, puis de renouveler les générations et ,de fil en aiguille, de remplacer les plus âgés par de plus jeunes.

La campagne, puis l’élection d’Emmanuel Macron a fait beaucoup de ce point de vue. À ce jeune Président, décidé à instaurer un « nouveau monde » en opposition à « l’ancien monde », on ne concevait pas d’adjoindre une équipe, puis des députés, qui ne soient peu ou prou de sa génération. Inconsciemment, on n’imaginait « en marche » que de jeunes et dynamiques marcheurs. Ses équipes de campagne étaient majoritairement composées de jeunes adultes  et, après l’élection, son équipe à l’Elysée, traversant pour sa « rentrée » la cour du noble palais, donnait davantage l’impression d’une délégation de chefs scouts que de politiques expérimentés. Tout cela était d’ailleurs parfaitement étudié : personne n’a déclaré « on ne veut pas de vieux » mais on l’a donné à voir. Résolument, l’heure était au jeunisme.

Et c’est là qu’on découvre un incroyable paradoxe de la langue. Le « jeunisme », c’est un avantage –et non l’inverse- donné de principe à quelqu’un du fait de son jeune âge. En 2017, un pas de plus a été fait dans sa direction. Rajeunissement de l’âge moyen des ministres avec l’arrivée de 8 trentenaires, puis rajeunissement (en même temps que féminisation) des députés. La fonction politique, porteuse jusque-là de l’idée d’expérience et d’autorité, basculait dans l’idée de renouvellement des visages et des âges.

L’essentiel est pourtant dans le renversement complet de sens entre jeunisme et âgisme, l’un de plus en plus favorable, l’autre versant de plus en plus dans la condamnation. Le « jeunisme », malgré sa nuance de critique, indique clairement une préférence pour les jeunes, un bonus qui leur est concédé. Tout à l’inverse, l’ « âgisme » est porteur d’une dépréciation, voire désormais d’une discrimination négative, et en cela il se rapproche davantage de « racisme », quelques-uns allant même jusqu’à considérer l’âgisme comme une sorte de racisme anti-vieux.

Cela ne va pas sans inquiéter, non pas à titre individuel mais à titre sociétal. Les courbes démographiques, que l’on feint encore trop souvent d’ignorer, démontrent que les plus de 60 ans constitueront bientôt le tiers de la population française, ce qui est d’ailleurs déjà le cas en Nouvelle-Aquitaine. Pourquoi ne seraient-ils pas représentés à proportion dans les instances politiques.

Plus grave encore, si l’on peut dire, ces « 60 et plus » sont majoritairement en bon état, actifs et désireux de contribuer à ce nouveau monde dont ils sont fondamentalement partie prenante, la plus grande nouveauté de ce monde étant justement la longévité et donc, la part croissante des âgés dans la société. La situation ne s’améliore guère à penser que ces « plus de 60 » sont les ex-babyboomers et qu’ils ont grandi dans une culture d’émancipation et d’autonomie prenant ses racines dans la « révolution » de mai 68 dont nous « fêtons » le cinquantenaire. Ils seront, ils sont déjà, les premiers « émancipés de l’âge » qui veulent vivre sans le subir comme un poids, disposition tout à fait contraire au consentement passif au dégagement. C’est à eux aujourd’hui d’imposer cette participation, en particulier aux instances locales, et à lutter contre cet autre mur de verre qu’est l’âge.

Ce « dégagement » est surtout une erreur sociétale majeure. La place et le rôle des « retraités » (ou pas encore retraités pour une part non négligeable d’entre eux) est le trou noir de la pensée politique actuelle. A les laisser sur le bord de la route, en les considérant volontiers comme des contributeurs désignés à l’impôt plutôt que des porteurs d’innovation, on risque d’en faire des aigris, ce qui est le moindre mal sauf…. Pour les politiques eux-mêmes. Dans les élections à forte abstention, les plus de 60 sont majoritaires à eux tout seuls, car si les jeunes boudent les urnes, eux, y sont fidèles.

Le risque, plus lourd à mon sens, est qu’ils se désengagent, alors qu’ils constituent la colonne vertébrale de notre cohésion sociale, dans les familles d’abord, dans les associations, dans les partis politiques comme dans les municipalités. Pour les deux derniers cités, je crains que cela ne pointe déjà son nez. A force de considérer les « boomers » comme une génération de nantis, n’ayant réussi que grâce à des circonstances économiques extérieures, je crains que ceux qui le peuvent au moins ne se conduisent comme tel quand il s’agirait au contraire de valoriser leurs combats et leurs apports à peu près dans tous les domaines, avec un léger bonus pour les femmes de cette génération.

On disait il y a peu qu’ «une société se juge à la place qu’elle fait aux personnes âgées ». On le dit toujours mais l’expression est en passe de changer de sens. Sa signification traditionnelle désigne le grand âge : quelle place la société fait elle aux personnes vulnérables et en perte d’autonomie ? Ce sens est toujours éminemment légitime mais il se double d’un autre : quelle place fait la société aux 15 millions de retraités actifs ? Quel rôle ? Quelle participation ? Quelle valorisation de ce rôle et de cette participation ?

J’en arrive donc au « dég’agisme » que je ne résiste pas à orthographier ainsi. Les études sociologiques montrent que la valeur et la place que l’on accorde aux âgés est un des paramètres de leur évolution cognitive : qu’ils n’aient aucun rôle, ni aucune reconnaissance, ils se replient et régressent. Au Japon, les personnes âgées sont regardées de manière beaucoup plus positive qu’aux Etats-Unis et, j’ose dire, que dans la France qui s’installe. Le risque pour ces âgés d’évoluer vers le repli et la démence est d’autant plus grand qu’on ne leur accorde ni place, ni responsabilités, qu’on ne leur manifeste plus d’estime ; quelles sont reléguées à distance de la vie des autres, ne participent ni aux assemblées, ni aux décisions, y compris à celles qui les concernent.

Il y a une dizaine d’années, on ne trouvait pas de politiques qui ne se faisaient un fort de soutenir que l’Assemblée nationale devait ressembler à la France toute entière. Diversité, professions, origine sociale… Nous en sommes toujours loin, mais nous nous en écartons aujourd’hui au regard de la part déterminante des « âgés actifs » dans la composition de notre société. Même inquiétude dans le milieu professionnel, où le « tutorat » demeure une exception et où le couperet de la retraite est bien souvent une incroyable privation de compétences et de formation.

C’est une immense révolution que la révolution de l’âge ; nous n’en avons toujours pas mesuré l’importance ni l’impact et il me semble que nous la considérons à l’envers. Qui en parle ? Qui a entendu UNE phrase sur le sujet dans la bouche de notre jeune Président ? Existe-t-il UN Ministre pour évoquer la transition démographique dans ses multiples composantes (logement, mobilité, économie..) alors que tous leurs secteurs sont concernés, des transports à l’économie et du logement à la formation.

Cette révolution ne fait et ne fera que s’amplifier, même une fois passé le dos d’âne lié au baby boom des courbes démographiques. Serons-nous assez bêtes pour faire du plus beau cadeau que nous a fait le XXème siècle, la longévité et la possibilité d’une « troisième vie », un poids ou un fardeau pour la société et, pour les personnes concernées, une souffrance ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La vulnérabilité, enjeu politique déterminant

C’est pour moi une inquiétude littéralement essentielle que la prise en compte de la vulnérabilité dans l’action politique.
Nous partageons aujourd’hui à la fois un grand défi et une immense chance, ceux de la longévité. Celle-ci implique qu’un nombre toujours plus grand d’entre nous abordera au champ du grand âge et de la moindre autonomie.
Voilà qui concerne au premier chef la politique : quelle place pour les personnes hors de l’activité, quel soutien pour celles en état de fragilité (l’un et l’autre représentant 14 millions de Français) ?
 
Aujourd’hui, vient d’être nommée présidente de la Caisse Nationale pour la Solidarité et l’Autonomie (CNSA), ma « collègue ex ministre », Marie-Anne Montchamp, fervente soutien de l’assurance privée envers la perte d’autonomie. Hors de ce sujet qui nous sépare, nos relations et nos débat furent toujours cordiaux et respectueux et je la salue au passage.
 
L’assurance privée est plus coûteuse et plus aléatoire que l’assurance publique que représente la Sécurité Sociale. Est-ce à dire que c’est aujourd’hui le choix du gouvernement ?
Après la décision de ce même gouvernement de ne pas nommer de Ministre des personnes âgées, que devons nous penser ou craindre de ce nouveau signe politique ?
 
Dans ce domaine surtout, je ne me suis jamais située dans le manichéisme. Examinons ce qui sera fait en face de la détresse de nombre d’ EHPAD et de leur personnel. Soyons vigilants sur l’utilisation des finances de la CNSA. Et espérons que cet enjeu humain et politique majeurissime soit défendu et relevé.
 

Et toujours pas de Ministères des personnes âgées, fragiles ou vulnérables ….

Le nouveau gouvernement, joliment appelé « Philippe II » me laisse consternée par l’absence de Ministère « des personnes âgées et de la transition démographique ». Cette double appellation pour souligner un double manque : celui de la question du grand âge et de la perte d’autonomie, celui de la prise en compte de la transition démographique qui fait qu’aujourd’hui 30% des Français ont plus de 60 ans et vivent plus de trente ans à la retraite.
Un ministère transversal -ou pour le moins un secrétariat d’Etat, comme c’est le cas pour le handicap-, eût été indispensable : pratiquement 100 % des familles françaises sont concernées et tous les secteurs (santé, logement, urbanisme, fiscalité…) de notre vie en société par cette « transition » si profondément humaine.
La nomination de ce gouvernement s’est par ailleurs faite par temps de canicule. Osons un faible jeu de mots : est-ce que cela n’aurait pas du rafraîchir la mémoire du jeune Président de la République ou de son premier Ministre ? Qui pour porter ces jours-ci la voix bienveillante de l’Etat auprès des personnes fragiles et isolées, et en premier lieu bien sûr des grands âgés ?
C’est d’ailleurs cette absence de prise en compte de la fragilité, de l’exclusion, de l’isolement, qui frappe en ce début de quinquennat. Gouvernement comme Parlement font une large place aux beaux, aux blancs, aux forts, aux bien nés et aux urbains.
Puissè-je me tromper…

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