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Emploi

« Emploi » est sans le moindre doute le mot de l’année 2013. Et son contraire « chômage » le rappelle à l’issue du 19ième mois consécutif d’augmentation du nombre des demandeurs d’emploi. Près de 5 millions de Français, Dom-Tom inclus, sont sans emploi aucun ou en sous-emploi, 29300 de plus ont perdu le leur le mois passé. Oui, il faut tout faire pour inverser la tendance.

Oui aussi, la bataille est européenne mais elle doit être aussi une bataille nationale, même si nous savons que la politique européenne n’est pas (ou pas tout à fait) que la somme des 27 politiques nationales.

J’entends par bataille nationale quelque chose qui n’est pas loin du patriotisme. Sommes-nous moins forts, moins réactifs, moins créatifs que les Américains quand ils ont accepté le remède de cheval du « New Deal » de Roosevelt ? Avons-nous moins qu’eux le désir que la France demeure une « puissance » qui compte dans les équilibres mondiaux ? Accepterions-nous de la voir devenir le Finistère touristique d’un continent dépassé et nous des gardiens de musée ?

Critiques, râleurs, déprimés, les Français n’en « aiment pas moins leur pays », suivant la formule à la fois un peu usée et toujours vraie. Il reste à le faire comprendre et à le faire vivre. Les Américains d’alors n’étaient pas avares de formules simples (« Ne te demande pas ce que l’Amérique peut faire pour toi, mais ce que tu peux faire pour l’Amérique »), je n’hésite pas à m’y commettre. Et si chacun de nous faisait chaque jour quelque chose de bon pour la France ou pour son double, la République ? N’importe quoi : un tweet, restituer un trop perçu indu, respecter les règles, marquer de la civilité… Les plus petites choses ont un rôle, en particulier les dernières nommées, qui donnent un poil de moral et d’exemple aux autres. Nous devons retourner le cercle dépression/mécontentement/critiques stériles en sens inverse. Pas facile? Il suffit souvent d’un peu..

Revenons plus précisément à l’emploi. Le problème me parait se situer à deux niveaux : un effort d’urgence, un de moyen et long terme.

L’effort d’urgence concerne en particulier les jeunes (leur taux de chômage est le plus élevé jamais atteint en France). Si un jeune perdure dans la galère, il ne reprend pas facilement pied et c’est toute une vie qui peut être compromise.

Je prendrai l’exemple du secteur qui est le mien : l’âge. Il n’est pas le moins éloquent. A cette urgence peuvent répondre dès les mois à venir les emplois d’aide à la personne. Plusieurs voies : les emplois d’avenir – et beaucoup de contrats sont déjà signés-, la « médicalisation » des établissements pour lesquels nous avons débloqué cette année 147 millions euros supplémentaires, l’aide à domicile à laquelle nous avons apporté 50 millions de fond d’urgence pour éviter la destruction de nombreux emplois associatifs (environ 6000).

Je sais qu’il faut aller plus loin et qu’il faut le faire très vite. L’accompagnement des âgés en établissement n’est pas suffisant et l’aide à domicile doit être professionnalisée, à la fois pour être plus attractive mais surtout pour mettre aux côtés des personnes en perte d’autonomie des aidant(e)s connaissant leur pathologie et capables d’y répondre par les bons gestes et les bonnes paroles afin de leur permettre de rester à domicile.

Voilà, dans ce secteur, une réponse qui peut être rapide et répondre à l’urgence 2013. Le besoin est estimé par la DARES à 300 000 emplois d’ici 2020.

La réponse de moyen terme est d’un autre ordre: elle concerne la « Silver Economie », mot générique englobant les gérontechnologies, l’adaptation des objets, du domicile et des quartiers au défi de la longévité. Ce secteur est infiniment créatif et il est susceptible de répondre aux besoin des « baby-boomers » qui ont tout sauf envie de se laisser surprendre par le grand âge sans l’anticiper. Ce groupe -dont je suis une des honorables représentantes- arrive en nombre dans le champ de l’âge avec de forts atouts : être le plus souvent déjà familiarisé au numérique, avoir pour nombre d’entre eux des moyens financiers acceptables et…avoir vu ses parents devenir très âgés alors qu’eux-mêmes atteignaient la retraite.

Tout ne viendra pas de l’Etat. Les (jeunes) âgés eux-mêmes doivent comprendre qu’ils peuvent quelque chose à leur vieillissement et à sa préparation. Que leur épargne (je vais peut être choquer) quand ils en ont doit d’abord être utilisée à leur bénéfice pour anticiper leur vieillissement.

Tout cela est un moteur considérable pour nos industries qui ne s’empareront de ce champ que si elles perçoivent qu’il y a un marché réceptif aux avancées techniques et aux données de la recherche. La Silver Economie aux Etats-Unis connait un taux de croissance de 15% par an. Saisissons-nous en !

Voilà, dans mon secteur, ce que peut-être le deuxième palier, celui de l’économie productive, pour gagner la bataille de l’emploi. Il en va de même dans bien d’autres champs. Chacun peut y avoir un rôle. A titre individuel mais aussi dans son entreprise, dans son administration..

Mon souhait pour 2O13 ? « Ne baissons pas les bras, musclons-les ! ».

Le Père Noël est un âgé

Mon ministère est en ce moment pressé de courriers venant de tous horizons. C’est bien évidemment la période et nous devons faire face à cette réalité : le Père Noêl est un âgé et relève précisément de nos attributions. Il est, et non des moindres, l’un des 15 millions de ressortissants de ce qu’il faut bien appeler un « maxistère » au regard de ce chiffre toujours en expansion qui nous porte résolument en tête des objectifs de croissance du gouvernement.

Création d’emplois, perspectives d’une Economie nouvelle, les médias ne se faisant pas suffisamment l’écho de notre « chef-de-filat », je le fais à leur place et les invite à relayer cette nouvelle réconfortante au regard de la morosité générale.

Revenons-en au Père Noêl et au courrier qu’il vaut à mon équipe. En cette période de fêtes, on pourrait croire ces missives généralement positives : il n’en est rien. Les Français sont les Français et la majorité ont à notre encontre quelque grief. C’est d’ailleurs la dernière de ces lettres qui m’a décidée à m’exprimer et à défendre tout autant le Père Noël et notre action.

Ce courrier me visait personnellement : « A force de vanter les mérites de l’âge, allez-vous installer une gérontocratie dans notre pays ? (…) Et jusqu’à ce père noêl que vous paraissez soutenir et vouloir perpétuer, enfonçant chaque jour notre pays dans un obscurantisme d’un autre âge ? »

Plus sociale, l’inquiétude d’une formation politique: »Vous défendez publiquement les CDI pour favoriser de fait des contrats courts de moins d’un mois, des emplois pénibles… Nous voyons clairement dans ce double jeu, l’expression de l’amateurisme qui vous qualifie et de l’errance de vos politiques ». Se reconnaitra qui veut.

Les mouvements féministes ne sont pas en reste. L’amitié que je leur porte m’incite à une grande réserve. Reconnaissons pourtant que je ne suis pas épargnée et que la « phallocratie rampante » (sic) contre laquelle s’insurgent tenants et tenantes d’une parité sans faille ne va pas sans m’interroger sur ma coupable mansuétude à l’égard de mon prestigieux âgé.

Car enfin, que dire de sa longévité enviable ? Que savons-nous de son activité, de son quotidien une fois déposé le « rouge de travail » qui est le sien ? Au passage, ce n’est pas jusqu’aux designers que j’ai engagé dans la mouvance de la Silver Economie qui ne me font pas remarquer que j’ai peu de suite dans mon souci de moderniser et de rajeunir l’image de l’âge.

Bref, la fonction de Ministre n’est pas aisée, d’autant que ma bénévolence naturelle me porte à trouver à chacun des arguments. Mais c’est dans ces moments de doute, d’inquiétude parfois, qu’il faut en revenir aux fondamentaux.

Oui, le Père Noël est un âgé, peut-être même un grand âgé. Oui son activité évoque davantage le CDD que le CDI. Oui, tout cela est vrai et je l’assume.

Mais n’est-il pas aussi la quintessence de ce que nous voulons pour nous âgés ? Et d’abord le « reward », plus important encore que le « care » à leur égard. C’est à dire la réciprocité, la reconnaissance pour tout ce que les âgés font et ont fait ? L’estime et pour tout dire l’honneur dont chacun d’eux devrait être entouré?

Et tout cela dans un contexte intergénérationnel s’il en est. Le Père Noêl (et les milliards de ceux qui travaillent chaque année sous son nom pour remplir sabots, baskets, tongs et autres souliers de toutes formes, âges et religions (eh oui !)) constitue peut-être la quintessence de ce « contrat de génération » que Michel Sapin (ça ne s’invente pas) nous a présenté au Conseil des Ministres.

Oui, le Père Noêl est un âgé, et la seule vérité que je veux en retenir : ces jours-ci, comme tous les autres, prenons grand soin de lui et de tous ceux qui lui ressemblent.

Mettre de la République au coeur de la politique de l’âge

La révolution de l’âge a été si radicale et si rapide (doublement de l’espérance de vie en un siècle) que la République n’a pas eu le temps d’y mettre complètement son nez. Non qu’elle n’ait rien fait (l’APA par exemple a permis une nette amélioration de la prise en charge) mais elle n’a toujours pas pensé cette révolution dans les mêmes termes que ceux qui ont présidé à l’établissement de son système éducatif.

Pour le dire autrement, la République se déploie uniformément et  systématiquement en direction du jeune âge (PMI, éducation, médecine scolaire..), elle n’intervient qu’à petite mesure pour ceux qui, à l’issue de leur activité professionnelle, vont avancer dans le champ de l’âge.

L’urgence est grande : le temps de la vieillesse est en passe d’atteindre le double du temps de la jeunesse. Dix huit ici,  bientôt pas loin de trente là. D’ores et déjà les personnes de plus de 60 ans sont plus nombreuses que les mineurs.

Il faut à ce long parcours des repères, des outils à disposition de ceux qui s’y engagent. Il faut que les bons vieux principes de la République descendent du fronton des mairies (et encore quelquefois des écoles) pour baliser le chemin de l’âge.

De la liberté bien sûr. Les âgés, s’ils sont à risque de perdre en autonomie quand au contraire les jeunes en gagnent, sont des adultes, des citoyens chevronnés, expérimentés, maintes fois affrontés aux batailles et aux épreuves. Autant que les autres –j’ai eu envie d’écrire : plus que les autres-  ils doivent  se sentir responsables de leur vie. Ce qui veut dire que leurs droits doivent être affirmés, respectés et qu’ils sont autant de devoirs pour les autres au moment où il ne sont plus eux mêmes en capacité de les défendre.  Pour le dire autrement, je veux sortir mon ministère du domaine du compassionnel pour celui du respect.

De l’égalité, O combien ! C’est peu de dire que vieillir doit être une chance pour TOUS et nous en sommes loin. S’il y a un domaine où les chances d’égalité sont mal distribuées (revenus, isolement familial et social..), c’est celui-ci. L’âge ne rapproche pas les conditions, il les écarte et c’est un premier sujet de gravité.

Mais l’inégalité va au delà : elle est aussi territoriale. La  politique de l’âge est complexe, elle met en jeu nombre d’acteurs, qui l’interprètent et la concrétisent souvent très différemment (par exemple, les conseils généraux). Il nous faut y mettre plus de cohérence et de lisibilité.

Fraternité. Ce maître mot est généralement décliné sous un autre nom : la solidarité et celle-ci a elle même bien des déclinaisons et deux grandes voies : les solidarités « traditionnelles » et les politiques sociales publiques.

Dans le domaine de l’âge, il faut  moins encore qu’ailleurs dissoudre les solidarités familiales ou de proximité, comme il n’a d’ailleurs jamais été question de les dissoudre pour le soin aux enfants. Qui imaginerait que l’Etat se substitue aux parents, hors cas de force majeure ? Au contraire, il faut les favoriser, les soutenir et les accompagner.

Les mettre en valeur aussi, car elles apparaissent quelquefois moins naturelles que le soutien aux enfants. Un seul exemple : si ce sont 60% des jeunes générations qui ont reçu après leur majorité des aides financières de leurs parents, ce ne sont que 15% des parents âgés qui en reçoivent de leurs descendants.

Et puis il y a les solidarités publiques dont l’une demeure tout au long de la vie : la sécurité sociale, mais qui ne prend pas en compte de multiples aspects de ces pertes progressives d’autonomie qui caractérisent l’avancée en âge. Et c’est le cœur de la loi que nous avons en préparation d’en redéfinir les moyens, les modalités et les objets. Bel ouvrage à vrai dire, mais malaisé.

La République a été jusque-là plus amie de la jeunesse que de l’âge. Ce n’est pas totalement de sa faute : en 1945, quand la retraite à 65 ans a été obtenue, l’espérance de vie moyenne était à 67,5 ans.  Avouons pourtant qu’elle a été depuis ce temps, un peu inattentive aux courbes démographiques qui auraient dues la tirer durement par la manche.

Il me semble qu’elle y est prête aujourd’hui. Et les Français prêts à l’accompagner.

 

 

Suicides de vieux

Pas de saison, le sujet ? Mais si, justement, en plein coeur.

L’un, l’une à vrai dire, a sauté du 5 ème étage de la résidence-foyer dont elle avait fait son domicile. S’aidant d’une chaise pour arriver à bonne hauteur de la rambarde du balcon. Elle qui répondait toujours au rituel « Comment ça va ? » par « Bien, et vous ? », écoutant attentivement la réponse.

L’autre s’est tiré un coup de fusil dans la bouche. Suicide d’homme, façon Hemingway à Key West. Exclusivement d’homme, pour l’instant. Et pour cet homme-là, d’homme qui se sait malade en même temps que vieux. Les deux font bien souvent la paire.

L’autre encore, masculin lui aussi, a marché avant de s’ensevelir dans un fossé pour y mourir tranquille, loin de tout, à l’abri. Un peu comme ces hommes du grand nord qui marchent dans le froid jusqu’à être pour toujours arrêtés par lui et figés sur place.

Les suicides d’âgés augmentent en nombre et l’été leur est propice. L’été où la solitude est plus grande, l’isolement de tout et de tous. L’inutilité, le vide, la révolte.  le regret sans doute de la splendeur du monde et d’une vie autre.

Ils ne sont jamais un appel au secours. Suicides radicaux dont on sait qu’aucune main ne pourra les interrompre. Suicides d’adultes déterminés. Les trois que j’ai raconté, survenus dans les deux jours précédents le disent assez.

Qu’en dire de plus ? Que nous en sommes tous comptables : proches à tous les titres de proximité possible, parents, pouvoirs publics. Ces derniers, à la fois en priorité pour tout ce qui est en leur pouvoir, et bien impuissants quand on sait que ce sont les dernières heures qui emportent  la décision.

L’été. L’été meurtrier.

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel