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Hommage à Johnny Hallyday

En tant que cancérologue, je sais que quelqu’un qui ne veut pas que soit fait mystère de sa maladie, voire que celle-ci soit largement connue, se situe dans une communauté à laquelle il veut adresser un message.
Communauté avec les malades du cancer, communauté aussi avec les malades d’un type particulier de cancer, à la cause bien identifiée. Je me souviens d’un surfer, à la carnation australienne (yeux bleus, peau claire, parsemée de grains de beauté) bien qu’il fût biarrot qui m’a donné alors que je le soignais pour un mélanome avancé, l’injonction suivante concernant ses congénères : « Dites-leur qu’il faut se protéger (du soleil), dites leur que c’est dangereux ».

Je n’évoque ce souvenir qu’en relation avec la volonté de Johnny Hallyday que soit connue la nature de son cancer. Nous ne saurions pas qu’il est mort d’un cancer du poumon sans qu’il n’ait délié ses médecins du secret médical et son entourage du secret tout court. Grand fumeur, comme l’a rappelé en ce 6 décembre son amie Line Renaud (« plus il fumait, plus sa voix était belle »), l’on peut dire que Johnny est mort du tabac. Comme avant lui Michel Delpech, Johan Cruyff, Yul Brynner, ces trois-là ayant fait de leur bouche même la relation avec le tabac (et les deux derniers ayant en plus enregistré des spots contre ce poison), ce qui ne fut pas le cas de Johnny.

Pourquoi ce rappel ? Pour répondre à ceux (peu nombreux, et parmi eux plusieurs buralistes) qui considèrent comme indécent mon message d’hommage à Johnny : « Hommage à Johnny Hallyday , qui a voulu que l’on connaisse le nom et la nature de sa maladie. Merci de ce message, merci de ce courage ».

Car il y a beaucoup de courage à cela : accepter que l’on nomme aussi précisément la maladie suppose qu’on la connait soi-même et qu’on la valide dans toutes ses implications.

A ne pas permettre d’incarner les méfaits du tabac, on les méconnait. Notre souffrance devant les visages et les noms des victimes du Bataclan, a multiplié notre haine du terrorisme. C’est aussi parce que, pour moi, les méfaits du tabac ont le visage et le souvenir de la souffrance de tant d’amis et de malades, que mon combat contre ce fléau ne cessera jamais.

J’y ajoute l’immense regret de tant d’années de création perdues par tant de musiciens, d’écrivains, de metteurs en scène de génie, d’acteurs inégalés… Entre d’Ormesson et Johnny Hallyday qui se sont suivis dans la mort, il y a ces 20 ans que le tabac, en moyenne, dérobe à nos vies.

 

Devons-nous vraiment nous taire ?

Parce qu’il était non mon ami, mais qu’il m’avait accordé sa confiance, je décide que la réponse est « non ».

Je me suis souvent disputée avec Henri Emmanuelli sur le fait qu’il était un fumeur invétéré et que je ne le voyais jamais sans que cela me fende le coeur. Il bougonnait, ronchonnait mais cela finissait toujours par « pour moi, c’est trop tard, mais tu as raison de te battre ».

De ces mots parcimonieux, de la confiance qu’il m’a faite en me confiant son diagnostic, en échangeant sur son pronostic qu’il connaissait avec la même acuité que moi, je m’autorise à « dire ». Je crois et j’espère qu’il ne me désavouerait pas.

Henri est mort d’un cancer du poumon, lequel s’ajoutait à un problème neurologique ancien, altérant sa capacité à vivre librement, mais -du moins, je le crois- pas son pronostic vital.

Il savait tout. Et pour une fois, ce « tout » a l’immensité de sa force. c’est aussi ce « tout », cette connaissance sans recours de l’inéluctable, qui m’a fait bien souvent sortir de la chambre de mes malades les larmes aux yeux d’une admiration sans bornes dont, chaque fois, je m’interrogeais si elle serait pour moi de même niveau.

J’ai écrit « Henri est mort d’un cancer du poumon ». C’est faux : Henri est mort du tabac. Devrons-nous longtemps continuer de le taire ? S’il ne me l’avait pas dit lui-même, si entre les lignes, il ne l’avait pas si souvent évoqué, moi non plus, je ne me sentirais pas autorisée à en parler.

Devrons-nous longtemps accepter de perdre ceux que nous admirons, ceux que nous aimons, ceux en lesquels nous croyons, ceux qui vont nous manquer et, dans le cas, manquer à la Politique, manquer au Parti Socialiste, ces deux derniers ayant en ces temps difficiles un urgent besoin de figures intègres, de personnalités entières, exigeantes, rudes, volontaires, qui ne louvoient, ni n’intriguent, en même temps qu’infiniment pudiques et sensibles ?

Trop, trop longtemps, dans un silence trop grand, une hypocrisie trop intolérable, les journalistes, mais aussi mes confrères, mais aussi bien souvent les familles de ces morts indus, se sont tus. Je me suis faite brocarder pour avoir relié au tabac la mort de Patrice Chéreau, jusqu’à chaque fois craindre de trahir l’intime secret de la médecine, alors que je n’était pas le médecin qui soigne. Mais Michel Delpech, Yohan Cruyff, Yul Brunner n’avaient pas caché ni leur maladie ni leur volonté qu’elle ne soit pas inutile dans la lutte contre ce fléau abasourdissant : le tabac. Et hier 20 mars pourtant, aucun candidat à la Présidentielle, mais pas toi, Benoit Hamon, qui était son « fils », n’a osé en parler.

Henri avait moins que mon âge, le désir, caché par impossibilité, de vivre et un de ses derniers tweets fut une image radieuse de sa petite fille. Nous ne devons plus supporter cet immense échec, ce terrible manque de courage. Merci à tous de votre aide.

 

 

 

 

Vaclav, explique leur…

Quinze ans, il a passé 15 ans à lutter contre un cancer du poumon, délai extraordinaire ce cancer tuant vite et ne connaissant pas les récidives tardives ou de long cours d’autres formes de cancer.

Le cancer le plus fréquent du au tabac qu’est le cancer broncho pulmonaire tue vite, mais surtout beaucoup ; 5 à 10 % de guérison, chiffre stagnant depuis le début de mes études de médecine, il y a, à un poil près, un demi siècle.

Il tue vite et aussi, il tue mal. Et il faut avoir vu un malade mourir étouffé pour se dire qu’on n’arrêtera plus jamais de travailler à nous faire sortir de ce poison par lequel on légalise le suicide.

Havel est il mort étouffé comme tant d’autres, après ce que l’on appelle pudiquement une « complication pulmonaire » ? Nous ne savons presque rien. Même faire le lien entre tabac, cancer et sa mort, personne ou presque ne l’ose et ça me révolte. On tourne autour du pot, on pratique une sorte d’omerta bienséante qui n’est certainement pas du genre d’Havel lui-même. Havel, son talent inspiré, sa noblesse de grand seigneur de l’esprit, préoccupé de tout autre chose que de quotidien, ce donneur de sens à son pays et à l’Europe, Havel qui aurait eu sans cela 20 ans à vivre, est mort fracassé, jeté dans la tombe immense du tabac. Imagine-t-on un lac immense où l’on viendrait chaque jour charrier 150 000 corps ? Et tout cela, toute cette souffrance, pour engraisser 4 multinationales-gangster.

A peine quelques phrases dans la profusion des articles de journaux « depuis 1996 où il a été opéré d’un cancer du poumon, il n’a cessé de lutter contre la maladie ». S’imagine-t-on ce que c’est, de traitements en récidives et de récidives en traitement, de lutter 15 ans contre la maladie ?

Est ce qu’il n’aurait pas été mieux employé de continuer à être à plein temps ce continuel dissident qu’il fût même au pouvoir ?

« Il aurait pu mourir d’autre chose », ai-je entendu. Variante de « il faut bien mourir de quelque chose » que l’on me sert à répétition pour ringardiser cette bataille contre le tabac, supérieure à tant d’autres et à laquelle je ne renoncerai jamais.

Il faut (aussi) bien vivre de quelque chose…

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel