Le mépris
Rien de plus méprisable que le mépris, et pour cela rien qui blesse davantage, de quelque manière qu’on le subisse.
Pour cela sans doute, le terme est depuis un certain nombre d’années le point Godwin de la droite lors des débats politiques. « Vous méprisez les Français qui se lèvent tôt » ou pire « ceux qui habitent dans les quartiers et sont gênés par les odeurs… ». Ce point Godwin-là connaît en effet mille variantes, en France et au-delà, et Donald Trump comme tous les populistes le décline à plaisir.
Aujourd’hui, c’est au sein de la gauche qu’il atteint le grade de vocation définitive aux gémonies. D’autant que le mot est si violent qu’il met celui qui le reçoit à la figure dans une brève sidération laquelle est d’ailleurs la raison de son usage.
Hier, pour avoir posé la question « Du million de pétitionnaires qui exigent le retrait de la loi travail, combien en ont lu une seule ligne », j’ai reçu en salves -mais seulement après quelques heures quand les détenteurs de la VraieGauche s’en sont emparés- les coups de cette arme fatale. Le tweet, je le reconnais volontiers, aurait été plus justement formulé en écrivant « combien n’en connaissent davantage que l’écho dans les médias ? ».
Cette question méritait sans doute d’être posée puisqu’elle tient aujourd’hui une place importante d’un papier du « Monde » mais de ma part elle ne pouvait évidemment relever que du « mépris » : mépris des jeunes, mépris des pauvres, mépris des chômeurs, mépris pour ceux dont apparemment je crois qu’ils ne savent pas lire, mépris pour les Français en général, mépris pour ceux qui ont des valeurs, mépris pour la gauche (la vraie), mépris pour mes engagements de campagne… Ce mépris quasi universel faisant de moi, au choix, un suppôt du Président de la République, du Gouvernement, de Manuel Valls, de Myriam el Khomri, des parlementaires en général et des élus qui sont tous des jean-foutre.
Rien qui me touche autant que cette accusation de mépris. Je l’ai essuyé quelquefois, j’en connais l’inguérissable blessure et je mets en garde contre son usage tout autant que sur son expression. Le mépris n’est pas toujours où l’on croit.
Je le reconnais: ma colère concernait plus les initiateurs de la pétition demandant purement et simplement le retrait de la loi travail avant même que personne n’ait le texte en sa possession que les pétitionnaires eux-mêmes. Je ne veux pas même les citer et j’aurais préféré les entendre en leurs qualités sur les inégalités sociales et culturelles des femmes ou sur le drame des réfugiés. Car en effet de quel mépris font-ils preuves en demandant le retrait d’un texte qu’ils n’ont pas pu analyser avant le lancement de la pétition ; avant son examen et son amendement par les parlementaires qui représentent la démocratie dans notre pays ; envers la ministre Myriam El Khomri qui donne son nom à cette loi et reçoit des insultes bien peu en rapport avec son parcours et sa condition de femme ?
Où est le mépris ? Chez celui qui s’interroge ou chez celui qui avant de lancer une action de buzz médiatique n’en mesure pas les effets ? Chez celui qui ose mobiliser des lycéens qui dans un cas sur 4 ne pourront entrer dans un marché du travail verrouillé et n’y trouveront au mieux que des CDD à répétition ? Chez celui qui ose parquer sous l’étiquette « Medef » des milliers de petites entreprises qui n’osent pas embaucher par peur du coût d’un licenciement (laquelle peut varier de 1 à 10 d’un conseil des prud’hommes à l’autre) ?
Où est le mépris ? Que chacun, avant de l’utiliser en l’air comme arme fatale, se garde de le voir éclater à ses pieds.