Le modèle allemand
L’histoire remonte aux années 70, en pleine crise pétrolière. L’Allemagne se déchire devant le nombre élevé de ses chômeurs, la panne de croissance, le pouvoir d’achat qui s’effondre… Couacs, mauvais chiffres, les ennuis du lendemain peinent à chasser ceux de la veille. Helmut Schmidt, alors chancelier de la République fédérale est tancé par sa gauche, vilipendé par la droite, remis en question au sein même de sa majorité. Surdité pour les uns, indécision pour les autres,
Il décide de frapper un grand coup et de marquer l’opinion par un fait ayant la solidité des chiffres et que personne ne puisse contester. Il convoque la presse au bord du Rhin dans la capitale d’alors, Bonn. Les médias sont rassemblés, un rang de Ministres attend en ordre protocolaire le long de la rive.
Une Mercédès noire apparait et se gare en silence. Helmut Schmidt descend, échange quelques poignées de mains et s’avance vers le fleuve. La foule de journalistes, autant que les Ministres, est médusée. La surprise est à son comble quand le chancelier s’engage sur les flots d’un pas ferme, progresse vers le milieu du fleuve qui est à Bonn large et majestueux et, parvenu précisément à mi-distance des rives, fait brutalement demi-tour. Il reprend du même pas assuré sa marche sur les eaux et sous les flashes qui crépitent regagne la terre.
Quelques poignées de main encore, dans un absolu silence. Le Chancelier remonte alors la rive. Sans mot dire, il s’engage dans son véhicule et la Mercédès repart.
Quelques heures plus tard, l’expédition fait les gros titres de la presse.
La « Frankfurter Allgemeine » , marquée pour son conservatisme intransigeant, titre sur 5 colonnes : « Crise en Allemagne : A son habitude, le Chancelier évite de se mouiller »
Le Stuttgarter Zeitung, moins catégorique mais tout aussi négatif : « Devant ses Ministres, le chancelier rebrousse chemin sans atteindre l’objectif »
Le magazine people « Bild » : « Sur le Rhin, Schmidt évite de peu la noyade ».
Quant au quotidien économique « Handelsblatt » (l’équivalent de nos « Echos ») : « Le volte-face de Schmidt ruine la confiance des marchés. Le DAX perd deux points »
Depuis ces temps de crise, le Rhin a charrié bien des eaux, hautes ou basses. L’Histoire, quant à elle, retient qu’Helmut Schmidt fut un grand Chancelier.