Allemand, né en 1939, j’ai encore quelques souvenirs d’enfance (la ville de Nuremberg à 90 % en ruines au moment de ma scolarisation, des années d’après-guerre de pauvreté générale…) ; des souvenirs de ce que le mot « guerre » signifie. Plus tard j’ai mieux compris ce qu’a signifié une guerre pour des millions d’être humains ; ceci m’a marqué comme la plupart de ceux de ma génération.
Ces souvenirs sont revenus ces dernier temps avec ce qui se passe en Ukraine, des événements qui provoquent en moi une crainte viscérale de voir se confronter par un enchainement irrésistible la Russie et les pays occidentaux. Poutine qui n’a pas digéré ce qui pour lui fut une humiliation insupportable : la dissolution de l’URSS et du Pacte de Varsovie et l’indépendance de la plupart de ses anciens républiques, du Caucase jusqu’à la mer baltique. L’annexion de la Crimée, après celle (sous une autre forme) d’une partie de la Géorgie, sous prétexte de protéger les « frères russes » de ces pays, fait craindre que d’autres parties de l’ex-empire soviétique ne puissent être la cible d’une politique peu soucieuse du droit international. De fortes minorités russes en Estonie, Lituanie et Lettonie pourraient être manipulées pour appeler la Russie au secours sous prétexte d’être privées de leurs droits dans ces pays.
Or, ces pays sont membres de l’OTAN qu’ils ont rejointe en 2004 en faisant confiance à la promesse d’être protégés contre toute agression par l’article 5 du Traité de l’OTAN de 1949 selon lequel « les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »
Pendant des années , cette éventualité n’était pas d’actualité, aucune menace émanant des gouvernements russes. Aujourd’hui la politique agressive de Poutine a créé une peur de plus en plus forte dans les pays baltes, mais aussi en Pologne, membre de l’OTAN depuis 1999: seront-ils vraiment protégés, le cas échéant, par leurs partenaires de l’OTAN ? La lecture d’un article du « SPIEGEL » du 19 mai 2014 évoque de sérieux doutes que cette garantie soit suivie d’effet. Le Ministère de la défense allemand explique dans un document confidentiel cité par le SPIEGEL que la capacité et l’intention de la Russie de déclencher sans préavis, à très court délai et à n’importe quel endroit d’importantes actions militaires constitue une menace pour la sécurité et stabilité de la zone euratlantique et en particulier pour ses voisins directs. Et le SPIEGEL enfonce le clou : actuellement l’Alliance serait incapable de défendre les pays baltes par des moyens conventionnels (tanks, avions, troupes terrestres). Tous les plans d’intervention ne seraient plus à jour. Pour pouvoir réagir de façon adéquate, il faudrait à l’OTAN environ 6 mois, « même trop tard pour participer aux festivités de la victoire de la Russie. »
Devant cette situation alarmante, il ne reste, dans la crise actuelle autour de l’Ukraine, que les moyens diplomatiques, une perspective peu rassurante face à un Poutine peu respectueux du jeu diplomatique et très motivé à effacer l’humiliation de la Russie que constitue pour lui l’éclatement de l’URSS après 1990 et la perte de son glacis. Cette faiblesse de l’OTAN, son incapacité de protéger efficacement ses pays membres pourrait bien sonner la fin de l’Alliance.
Quelle conclusion pour la France dans les débats actuels concernant le budget de la défense ? Voici un vrai casse-tête pour le Gouvernement et un appui pour ceux qui le mettent en garde contre tout affaiblissement des capacités d’intervention des forces armées déjà engagées dans plusieurs théâtres militaires. Et il se pose de façon aigüe la question d’une Europe de la défense disposant de moyens suffisants pour faire face aux nouveaux défis en ce début du XXIe siècle.