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Le deuil blanc

Le deuil ne s’est pas toujours porté en noir. Il était blanc au moyen âge, il l’est encore en Asie pour signifier que le mort se change en esprit, se dilue dans des nimbes que l’on imagine de cette couleur.

Mais ce n’est pas de ce deuil-là qu’il est question mais de celui que l’on ressent quand on perd la communication avec une personne vivante. On imagine que ce peut-être après une rupture ou d’autres formes de séparations mais celle qui l’emporte aujourd’hui dans l’usage de ces deux mots est la douleur à ne plus pouvoir/savoir échanger avec une personne atteinte de maladie d’Alzheimer ou des démences apparentées. La personne est là, en face de soi, murée dans le silence, dans une apparente indifférence et aucune des paroles qu’on utilise n’amène signe ni réponse. On le sait, le toucher est alors l’ultime moyen d’une communication incertaine, qu’à un stade avancé de la maladie on espère plus clairement qu’on ne la perçoit.

Ce deuil-là ne permet aucun « travail de deuil » et n’est pas moins douloureux que l’autre. Au contraire, chaque visite, chaque nouvelle tentative de communication, l’avive. La personne est là, quelquefois encore très semblable à celle que l’on a connue il y a quelques années, quand on pouvait encore parler, échanger souvenirs et projets, se confier, partager et cette présence accentue la rupture, le vide, le silence. Le deuil blanc s’accentue continûment, quand l’autre tend vers un apaisement et une acceptation.

Il arrive que les couleurs évoquent des bruits ou une musique, le blanc évoque d’abord le silence d’un paysage enneigé. Le froid le complète bien et la solitude de celui qui essaie et essaie encore de faire parvenir des signes à qui ne peut plus en donner. Ces deux mots, très beaux quand ils sont ensemble, évoquent aussi la pudeur et donne envie de la respecter.

 

 

Alzheimer, la nouvelle frontière

La maladie d’Alzheimer est sans conteste la nouvelle frontière de la recherche et de la médecine, mais aussi de l’angoisse devant une maladie « incurable ».

Il n’en est ainsi que relativement récemment. La maladie décrite en 1906 par le célèbre Alois n’est apparue que beaucoup plus tard dans le champ de la médecine quotidienne et dans la sphère publique. J’en connaissais le nom au début de mes études comme celui d’une forme rare de démence et je l’ai vu prendre de l’importance, enfler et acquérir cette douloureuse forme de célébrité qui la résume aujourd’hui au nom de son auteur, dépassant en cela « le Parkinson » et laissant loin derrière des maladies qui ont perdu beaucoup d’actualité car très clairement dans le champ de l’aisément substituable par le traitement. « Le Basedow’, « l’Addison », ne sont plus désormais dans le vocabulaire courant. Bien d’autres non plus.

Alzheimer a pris toute la place dans le champ des maladies dégénératives. A tort bien évidemment car nombre d’autres désordres sont à l’origine de démences de type Alzheimer. Je visitais ce matin « la plus grande unité Alzheimer de France ». Ce sont en fait une dizaine de pathologies qui y sont accueillies, accompagnées et soignées.

Pourquoi « la nouvelle frontière » ? Parce que c’est (presque) la seule maladie dont on dit brutalement qu’elle est incurable. Il y a une cinquantaine d’années, on entendait ce qualificatif tranchant comme la lame de l’échafaud à propos du cancer, « LE CANCER » majuscule, dont on sait aujourd’hui qu’il est infiniment pluriel et que plus de deux cas sur trois guérissent et que, de ceux qui ne guérissent pas, nombreux sont ceux qui sont désormais rangés parmi les maladies chroniques, c’est-à-dire de longue durée. Ceci était pratiquement impensable il y a quelques décennies.

Après le cancer, vint le SIDA et l’on n’utilise plus ce mot d’ « incurable » pour cette affection parce qu’elle se traite et permet de continuer de vivre. Certes, aujourd’hui on ne peut la déclarer « guérie » mais pour autant nous savons que, si tous les cas étaient correctement traités, nous pourrions éradiquer l’épidémie,  car sous traitement adéquat les patients ne sont plus contagieux.

Ces progrès, énormes, considérables, même si nous les voudrions plus radicaux et plus universels, ont amené la maladie d’Alzheimer au premier rang des grandes peurs. Le fait qu’elle détruise le plus identitaire de nos organes, le cerveau, en fait une interrogation lourde, porteuse d’une angoisse que j’ose qualifier de métaphysique.

En 2040, quand les fortes générations du baby-boom commenceront d’arriver au grand âge, le taux de dépendance devrait mathématiquement augmenter lourdement, ne serait-ce que du fait de la prévalence des démences. Mais 25 ans, c’est aujourd’hui le temps de la recherche médicale. Non seulement de la recherche mais de l’approche de la solution.

L’expérience du SIDA en témoigne. Elle nous rappelle qu’on peut soigner sans guérir et pourtant élever loin au-dessus de la tête des malades la perspective de la mort. Un jour, un beau jour, nos malades se sont dégagés de la noire certitude où ils étaient et ils ont recommencé à vivre.

Eh bien, je crois qu’en 2040, nous en serons là pour la maladie d’Alzheimer. Je ne sais de combien la mort sera repoussée : cette maladie est très majoritairement une maladie du grand âge, peut-être le sera-t-elle de très peu. Mais la fin de la vie sera toute autre et le risque de grande dépendance moindre. Nous aurons fait la paix avec Alzheimer.

Quelle sera alors la nouvelle frontière ?

 

 

 

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