S’il y a un domaine, UN, qui doit faire aimer la politique, c’est la santé. Je suis de parti pris j’en conviens, mes antécédents professionnels ne plaident pas de ce point de vue en ma faveur, mais je crois aussi pouvoir en faire la démonstration.
Ministère fondamentalement politique, sans doute celui que j’aurais préféré, non pas plus mais autant, que celui qui a été le mien, même si cette dimension n’apparaît pas au premier abord. Il concerne un des plus gros budgets de l’Etat (la Sécurité Sociale n’est pas stricto sensu un « budget de l’Etat » et pour cela bénéficie d’une loi de finances spécifique mais elle n’est pas pour cela politiquement « off shore »). Et en parallèle, ce beau Ministère régit le premier souci, le premier outil de chaque Français : sa santé.
La maladie relève d’abord de la médecine, la santé de la politique. C’est la politique qui peut réduire les inégalités de santé, lesquelles relèvent beaucoup moins de la génétique ou du hasard que de facteurs bien concrets où le politique a un rôle décisif : conditions de vie, logement, alimentation, information et éducation. Et bien sûr : revenus.
L’évolution de la pathologie qui bascule chaque jour davantage des maladies infectieuses (bactéries, virus)* ou des maladies lésionnelles (malformations, tumeurs..)* vers les maladies comportementales (addictions, troubles du comportement alimentaire..) alourdit chaque jour le poids du politique dans l’état de santé, ses succès, ses échecs. Chaque jour, ce Ministère devient plus déterminant et m’est avis qu’à lui seul il peut faire basculer l’opinion dans la considération pour la politique ou dans son désamour total.
Quel enjeu, quelle responsabilité! J’en donne un exemple : la politique anti-tabac. Cet exemple peut être décliné pour d’autres dossiers, il constitue une véritable question de cours qu’aucun Gouvernement n’est parvenu jusque-là à régir, dans notre pays comme dans l’ensemble de l’Europe.
Soixante-treize mille morts par an dans la seule France et combien de pathologies chroniques, invalidantes, réductrices, de l’insuffisance respiratoire à l’artérite qui coûtent à ceux qui en sont touchés la joie d’une vie « normale » et au budget de la sécurité sociale une part majoritaire de son déficit.
Je demanderai à l’Assemblée (où viendra prochainement la « loi de santé ») que soit réalisé un rapport sur le coût sanitaire du tabac, même une fois déduites les recettes liées aux taxes sur le produit. Je n’ose avancer de chiffres mais traduit en écoles et en Universités, sa réduction redonnerait du sens et des moyens à la politique.
On le sait, le coût global de la médecine, médicaments, autres traitements, méthodes d’examens, techniques diverses, a augmenté de manière exponentielle. Deux exemples parmi des milliers.
Quand j’ai commencé mes études de médecine, on décelait les tumeurs pulmonaires par des radios simples dont le coût était équivalent à 60 à 100 euros. Puis ce fût le scanner (500 euros). Et enfin le Pet-scan (2000 euros). (Tous ces chiffres à moduler selon le nombre de clichés, d’incidences.. , les proportions demeurant justes).
Aujourd’hui, des médicaments tels que les anticorps monoclonaux, coûtent 1000 à 2000 euros l’ampoule. Le traitement d’un psoriasis sévère revient à 60 000 euros par an…
Nous allons à coup sûr dans le mur sans des décisions fortes, le renoncement à des remboursements inutiles et inflationnistes (la plupart des transports médicaux, mais pas eux seulement), le remembrement du système de santé et… la responsabilisation de chacun.
Faut-il faire bénéficier d’un meilleur remboursement un obèse qui a fait l’effort de perdre du poids de manière significative ? Qui a réduit ou abandonné l’alcool ? Cela est en cours d’expérimentation dans certains pays et je l’approuve.
Et j’en viens au tabac. Même chose que pour l’alcool pour ceux qui parviennent à interrompre leur consommation mais il y a plus. Nous ne pouvons pas continuer à porter le fardeau des addictions les plus toxiques sans revoir nos logiciels, y compris certains principes de la sécurité sociale de 45, élaborée dans un tout autre contexte. Il y faut du courage et la volonté de dépasser nos frontières.
Le prix du tabac doit être calculé au regard de son coût pour la société, selon un principe qui est de l’ordre de celui du « pollueur-payeur ». On comprend qu’il puisse y avoir une taxe sur les camions pour l’entretien des autoroutes. De manière beaucoup plus indispensable encore, le prix du tabac ne peut continuer à être fixé sans considération de son coût sanitaire et social. Nous arriverons sans cela à ne plus pouvoir (voire même pouvoir) payer des soins de haut niveau à l’ensemble des malades.
Soyons optimistes : gageons que le premier pays qui aura ce courage entraînera les autres. Cette politique sera d’autant plus efficace qu’elle sera européenne.
Les critiques ne manqueront pas et la première sera d’effectuer une sélection par l’argent. Ne serait-il pas plus dramatique de réserver les techniques ou les médicaments innovants et coûteux à ceux qui pourraient les payer, ou payer une assurance individuelle inabordable pour la plupart ?
L’enjeu est du même ordre que sortir un jour du nucléaire. Si les instances européennes avaient un programme « sortir du tabac en 2030 », elle serait plus lisible, plus humaine, plus compréhensible de tous.
Il faut aimer la politique : elle seule peut cela, à condition d’une volonté qui transparaisse dans chaque décision et aussi d’un langage et d’un visage plus humains, plus proches du réel et de la vie.