m

Farewell, Laurent

Moment d’émotion à l’Assemblée ce 10 février pour la dernière intervention de Laurent Fabius dans cette belle et noble maison «cœur battant de la démocratie », comme il l’a si justement exprimé. Il se souvenait sans doute à cet instant de son discours de politique générale, en sa qualité de tout jeune premier Ministre – il avait 37 ans-.

Homme de grande stature politique, presque le seul à être écouté en silence sur les bancs de gauche comme de droite  quand il prend la parole, et dont aucun mot, aucune phrase n’ont jamais pu paraître une maladresse ou une approximation, « Laurent » incarne depuis près de quatre ans la Diplomatie, comme Juppé incarnait l’impôt. Après l’élection de Hollande à la plus haute fonction de l’Etat (à laquelle il aurait pu prétendre) , il s’est coulé naturellement dans l’habit de Grand Ministre de la France dans le monde sans faire d’ombre à son Président, ni paraître à aucun moment en retrait. Subtile alchimie, impensable quelques dix ou quinze ans plus tôt et preuve que, finalement, l’intelligence est bien utile.

En Conseil des Ministres, où selon la règle le Ministre des affaires étrangères s’exprime le Premier après le Président, l’humour très fin de l’un et l’autre ajoutait jusque dans les circonstances les plus difficiles une touche de complicité qui a fini de me convaincre que l’intelligence, est non seulement un bon outil comme dit plus haut, mais qu’elle est d’une séduction infinie.

Comme Laurent lui même , en l’écoutant pour la dernière fois probablement, parler dans l’hémicycle, je me suis souvenue de ce discours de politique générale qui m’avait obligé à garer ma 2 chevaux sur le bas côté du boulevard Leclerc , chemin obligé entre l’hôpital Xavier Arnozan et l’hôpital Pellegrin de Bordeaux. La clarté de la parole, la fierté sans emphase de l’orateur, m’avaient frappée. Je ne savais pas alors très bien ce qu’était le discours de politique générale d’un nouveau Premier Ministre. Je l’ai appris d’un coup, en même temps que m’était démontrée la force de la parole et sa spécificité (comme le style d’un écrivain, rien n’est plus personnel que la parole d’un politique). L’admiration un peu distante -comme il est lui même-  que j’ai à son égard ne s’est aucunement démentie depuis lors.

Les épreuves n’ont pas été ménagées à Laurent Fabius. Trente et un ans se sont écoulés entre ce discours de politique générale et celui, également remarquable, prononcé au titre de Président de la COP21. Laurent n’a pas « changé », comme le prétendent tant d’hommes politiques qui en sont incapables. Il a évolué, comme un vin de grand cépage, un de ces indéfinissables crus qui se fondent par leur savoureuse complexité à l’histoire de leur terre, et dans ce cas, de leur pays.

Il est aujourd’hui en garde de notre constitution. Cher Laurent, protégez-la en même temps que vous lui permettrez d’évoluer. Le gardien n’est pas celui qui enferme mais celui qui accompagne le pas.

 

Laurent (« Il faut aimer la politique VII »)

Ses amis l’appellent « Laurent » avec dans la voix un gros tantinet de fierté à le nommer ainsi par son prénom ; et quelquefois « Fafa » dans un charmant second degré qu’il doit finalement apprécier. J’avais, dans la même veine, un Professeur à l’Université, hyper-classieux, qu’un de ses collègues -qui, lui-même ressemblait plus à Foucher qu’à Talleyrand-  avait surnommé « Julot, l’aristo ».

J’ai toujours eu de l’admiration pour « Fafa » (le second degré adoucit un peu ici la componction). Sauf une fois*, mais nous sommes loin du sujet. Peu, dans les médias sociaux, ont seulement pensé  à saluer son action dans ce cœur de mois d’aout où les drames explosent de toutes parts. Le sans faute de notre Ministre des Affaires Etrangères mérite pourtant qu’on lui prête attention. Je le fais d’autant plus volontiers qu’il souscrit à une thèse qui m’est chère : l’adéquation d’un homme à sa mission est une clef de la politique.

Laurent ne pouvait avoir meilleure fonction dans ces trois gouvernements Hollande où, a priori, les moins bonnes langues pouvaient craindre discords et rivalités. C’était incontestablement sans compter sur l’intelligence aigüe des deux protagonistes. On connaît les « petits noms » dont Fafa a affublé François, mais on ne sait rien de l’inverse. Je ne jurerais pas pour autant qu’il n’y ait pas eu en retour quelques sobriquets dont la rumeur ne nous a pas permis de goûter la saveur.

Tous les deux en tout cas ont dépassé ce stade. Dans « le Monde » , il y a quelques mois, le journaliste Thomas Wieder rapportait que Laurent s’adressait parfois à François en l’appelant « Professeur ». Il y voyait de l’affection et je ne suis pas loin de le rejoindre. Disons, une connivence affectueuse. De l’humour aussi sans doute, dont le Ministre est bien pourvu, tendance « Quai » plutôt que Groucho.

Laurent donc est  sur tous les fronts, économe dans ses mots (ce qui est la première vertu du diplomate) mais sachant les choisir et les mettre en résonnance avec la situation. Hier , il était à Bagdad accompagné de dix tonnes d’aide humanitaire française, quand toute la diplomatie européenne s’affichait aux abonnés absents. Aujourd’hui il annonce l’envoi d’armes aux militaires kurdes. Les djihadistes sont à 35 kilomètres de Erbil, le tempo est le bon : la décision qu’il faut sans la précipitation.

Point n’est mon intention d’inventorier l’action du « Quai » au cours des deux années passées. Même les plus grincheux en ont rendu l’hommage à François Hollande et à son Ministre. Je veux en rester à cette osmose entre la fonction et le Ministre.

Au cours des Conseils des Ministres auxquels j’ai eu l’honneur de participer, il y eut, n’en faisons pas mystère, un nombre non négligeable de quarts d’heures où le recours à la vie intérieure s’avéra salvateur. En ont toujours été épargnées, les communications du Ministre des Affaires Etrangères dont on sait qu’elles constituent une figure obligée du Conseil. Le plus souvent grave, mais jamais dans un ton dramatique ou excessif, le Ministre posait l’essentiel, y ajoutait son commentaire qui appelait ceux du Premier Ministre et du Président, puis se taisait. Ce commentaire était toujours pertinent, concis et quelquefois teinté d’une pique ou d’une pointe d’humour, brève et british, qui accusait le côté absurde des situations de conflits que nous traversons depuis des mois.

Quand la situation l’autorisait, qu’il s’agisse de l’accréditation d’ambassadeurs inconnus de pays inconnus dont beaucoup autour de notre table connaissaient à peine le nom, ou de sujets mineurs, l’humour l’emportait. Humour presque impossible à transcrire car souvent né de la manière élégamment distante et flegmatique dont Fafa les contait.

Un jour présentant un volumineux rapport européen que notre Conseil devait approuver, il risqua une merveilleuse réponse. Je ne me souviens pas précisément du sujet du rapport, quelque chose comme « Les règles et les limites de la pèche au filet dans les mers secondaires de l’espace européen ». Fafa avançait en parlant l’épais dossier du rapport. Hollande interrogea l’air pénétré

-Monsieur le Ministre, conseillez vous à notre Assemblée, d’approuver ce document ?

-Sans aucun doute, Monsieur le Président de la République, car il nous revient soit de l’approuver, soit de le lire..

Tout a été dit des délicates pochettes blanches qu’affectionne Laurent. Pas un twitto, fût ce le plus corrosif, qui ait jamais trouvé à redire à la hauteur dont elle dépassait de sa poche ni à son plie, non plus à l’angulation de ses cravates relativement à ses revers de costume. Pas plus qu’aux costumes lui-même et à l’impeccable cassé de ses revers de pantalon au contact du mocassin. J’avoue avoir beaucoup souri de voir un jour supposé de « rencontre informelle » de voir Laurent pour la première fois dans une veste de fin tweed. Laurent décline le « casual » à la manière d’un Lord.

Laurent était le doyen masculin des deux gouvernements auxquels j’ai appartenu. On m’a plusieurs fois questionné sur le sujet quand je me laissais aller à des considérations sur l’erreur que l’on ferait de mettre aux métiers et fonctions de leur imposer des limites d’âge. Je tournais la question en devinette « Savez-vous qui sont la doyenne et le doyen de notre Gouvernement ? » Je doute cependant qu’aucun journaliste n’ait eu jamais l’impudence d’interroger Laurent sur son vécu du titre pourtant éminemment gratifiant de doyen. Je doute plus encore qu’il l’eût goûté mais je suis sûre  que rien n’en aurait paru.

Manière légère de dire que Laurent  s’est coulé dans sa fonction ministérielle avec perfection. On sait qu’il eût préféré d’autres fonctions mais il a endossé celle-ci avec plus que  de l’élégance, portant sans une faute, sans un manque  dans la cacophonie du monde « la voix de la France » à bonne hauteur.

* Certains ont imaginé des faits étranges ou tenus secrets derrière les trois mots « sauf une fois ». IL s’agit du choix de Laurent Fabius de se positionner contre le traité constitutionnel européen. Je pensais que ce n’était pas un bon signe pour la construction européenne, pas en accord avec les engagements de LF pour cette construction et que c’était un signe de division pour le Parti Socialiste. Ce qui fut, me semble-t-il. Rien de mystérieux en tout cas dans mes trois mots

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel