Le défi particulier des personnes LGBT vieillissantes
Parmi tous les défis que la génération des « boomers » a à relever pour rendre concrète la « révolution de l’âge », l’un est à la fois universel et remarquablement spécifique : celui des personnes LGBT vieillissantes.
Universel, bien sûr, car le vieillissement l’est et celui-ci n’a en soi rien de particulier ; mais aussi spécifique parce que l’histoire des personnes LGBT qui arrivent aujourd’hui dans le champ de l’âge l’est fondamentalement et qu’elle a construit une communauté qui va plus loin que l’addition d’histoires individuelles.
D’abord parce que les lois sont relativement récentes abolissant, puis punissant, les discriminations envers l’homosexualité ; puis assurant la totale égalité des droits avec la légalisation du mariage des personnes de même sexe (2013). Les personnes LGBT qui sont aujourd’hui âgées ont traversé toutes ces étapes. Ce sont elles qui ont eu la transgression et, dans bien des cas, le courage de « faire leur outing ». Plus encore que l’ensemble des (ex-baby) boomers, tous sont marqués par une culture d’émancipation qui leur rendent aujourd’hui intolérable de devoir affronter de nouveau ce qu’ils vivent comme une discrimination dans le dernier tiers de leur vie.
Cette « discrimination ressentie » tient à de multiples éléments. Nombreux sont ceux qui ont vécu seuls et/ou qui sont seuls au moment de la retraite et au delà. Leurs pensions de retraites (et l’absence de pension de conversion si ils ont partagé la vie d’un compagnon) sont plus faibles que la moyenne et ils n’ont bien souvent pas ou peu de soutien familial, pas non plus de descendance. En maison de retraite ou en EHPAD, ils éprouvent beaucoup de difficultés à continuer d’avoir à affirmer leur identité et leur droit à l’intimité et à la sexualité.
Plus particulière encore, est leur histoire médicale. Rappelons que ce n’est qu’en 1982 que l’homosexualité a été définitivement exclue des maladies mentales. Mais surtout cette génération aujourd’hui vieillissante a traversé l’épidémie du SIDA, avec ce que cela suppose de contraintes et de drames. Ceux qui ont évité la contamination,ceux qui vivent avec un traitement, ceux qui ont perdu des proches, tous ont connu la crainte, voire la perspective, d’une mort précoce, ne pensant pas arriver à la retraite et de ce fait, ne la préparant pas, ni n’anticipant comment ils vivraient à ce moment.
Ces craintes, ces particularités de vie, sont parfaitement explicitées dans le rapport que j’ai demandé en 2013 sur ce sujet si important : le vieillissement des personnes LGBT. Ce rapport conclut en avançant 23 propositions pour la prise en compte de ces difficultés particulières. Je n’en évoquerai ici qu’une seule : la possibilité d’EHPAD(s) « gay friendly ».
La loi ne permet pas d’établissement communautaire, mais rien n’empêche que l’un ou l’autre manifeste des spécificités ou des compétences particulières. Je n’exclus pas d’avoir été la Ministre qui a visité le plus grand nombre d’EHPAD : ces établissements, leur personnel et leurs résidents m’ont appris beaucoup plus qu’une étagère entière de livres de philosophie et de sciences sociales. J’en ai retiré, en plus de tout le reste, une conviction : ce n’est pas à 85 ans (âge moyen d’entrée en EHPAD) ou au delà, que l’on change ou que l’on peut être formé ou déformé. On a, au contraire grand profit à se trouver dans un milieu compréhensif, familier et où l’on retrouve des éléments de vie qui rassurent et qui échappent à l’oubli. Telle pensionnaire, allemande, mais qui n’avait depuis des lustres pas entendu un mot de cette langue, a retrouvé la parole et l’échange aux quelques mots que je lui ai dit dans mon médiocre allemand. Tels autres, tous immigrées et rescapés du ghetto de Varsovie, retrouvaient de la couleur et de la vie en chantant des chants ashkénazes ou polonais… Ce dernier exemple, alors que j’étais prévenue contre le caractère religieux d’un EHPAD particulier, a fini de me convaincre qu’il n’y avait en ce domaine qu’UNE règle : que les résidents se sentent chez eux et se sentent libres d’être eux-mêmes.
Les sujets sont éminemment différents, mais le principe de liberté, l’absence de tout risque d’être « communautarisé » alors que l’on a atteint le grand âge, m’a incitée à porter l’idée qu’un EHPAD pouvait parfaitement témoigner d’une compétence particulière en direction des personnes LGBT ayant le souhait de se retrouver entre personnes amies et bienveillantes. Ceci n’est toujours pas une évidence, mais je décèle une prise de conscience et une réflexion autour de ce sujet de la particularité et de la liberté. Je m’en réjouis et, avec mes conscrits « soixante-huitards » , j’en porte et porterai l’idée. Cela fait partie de notre devoir, nous les « silver-boomers » d’émanciper l’âge et le grand âge d’un maximum de contraintes.