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« Evidence based policy »

Nous nous éviterions une bonne part de débats partisans, incertains, circonstanciels, fumeux ou pire, si nous les fondions sur des données démontrées que l’on puisse qualifier de «scientifiques ». Dans tous les domaines, et particulièrement dans celui qui fut longtemps le mien (la médecine hospitalo-universitaire), on n’a guère bonne mine à avancer des arguments qui ne « tiennent pas » ; qui ne s’appuient pas sur des données contrôlées, des publications relues et revues par des « pairs » et, s’il s’agit d’expériences de labos, reproductibles dans des conditions identiques.

Tout n’est pas strictement applicable à la politique : une loi bien souvent préjuge et si l’on attend qu’elle ait été reproduite et analysée dix ans durant dans les mêmes conditions sociales et géographiques, dans trois siècles nous n’avons aucune chance d’avoir fait le moindre pas en avant.

Tout, non, mais beaucoup est applicable. Un programme « autisme » ne peut être élaboré qu’à partir de données scientifiques « dures » : le nombre de patients concernés (lequel permettra d’apprécier le coût des mesures), l’opérabilité de ces mesures (le nombre d’acteurs pouvant les mettre en œuvre), mais aussi, mais surtout, la démonstration que les mesures que l’on va favoriser, soutenir, appliquer, sont efficaces, et ceci dans quelles conditions et jusqu’à quel degré. L’expérience des pays qui les ont mises en œuvre, et quand on en dispose, les résultats comparés de deux méthodes sur deux groupes de population, tout cela doit être interrogé et argumenté. Et dans tous les cas en s’adressant à des médecins, des chercheurs, des publications fiables qu’aucun dogme ou intérêt ne vienne mettre en cause.

« Vaste programme ! » aurait dit le Général, s’il avait atteint notre époque. Vaste programme en effet, mais programme réaliste et en grande partie réalisable si l’on veut bien accepter que les politiques s’entendent sur les données considérées comme fiables, au lieu de se lancer invectives et protestations à la figure.

Les 35 heures ont-elles été bénéfiques ou délétères, et de quels points de vue ? Je sais bien que les économistes  ont surtout le talent de « démontrer le lendemain pourquoi ils se sont trompés la veille ». Comme c’est un économiste qui l’a dit, j’ai tendance à ne pas leur appliquer systématiquement la formule. Economie, mais aussi sociologie, sont des sciences humaines : enfermons ces scientifiques dans quelque université, ils finiront bien par en faire sortir une fumée blanche ou pour le moins une conclusion robuste.

J’ai proposé à l’Assemblée une audition sur ce thème : « la démarche scientifique expliquée aux politiques » ou « la politique basée sur des preuves». Le programme de l’année était soi disant trop chargé : je remettrai ça l’année prochaine..

Je pourrais multiplier à l’envie les exemples de choix politiques où les démonstrations auraient dû venir par anticipation: l’encadrement des loyers que l’on a détricoté avant de se rendre compte qu’il n’était peut-être pas inutile de remonter plusieurs rangs de mailles. De même, la discussion sur les salles de consommation à moindre risque (« salles de shoot ») auraient dues s’interrompre avant de commencer : toutes les études vont dans le même sens et il positif. Certains cependant on voulu le dévier pour des raisons purement partisanes.

Je ne voudrais pas parler trop du tabac, ni de la prise en charge de la perte d’autonomie. Les coûts ont été dans les deux cas calculés mais certainement pas assez le coût –ou le bénéfice- social et à l’occasion, politique. Mais justement, dans ces champs, l’exigence de données extérieures incontestables m’apparaît d’autant plus indispensable que mon engagement y est grand. J’ai ainsi pu m’appuyer il y a quelques mois sur la publication du « New England Journal of Medecine », journal de référence, revoyant à la hausse le nombre de cancers liés au tabac, et donc la mortalité, et donc les coûts sanitaires et sociaux. Aucun bla-bla ne pouvait lui être opposé.

Tel critère d’accès au logement social, tel plafond de revenus pour être éligible à une allocation, telle mesure d’imposition ne peut être décidée selon l’appartenance à la droite ou à la gauche, l’origine géographique du proposant, pas davantage qu’à l’âge du capitaine… Je plaisante mais chaque mesure doit être étayée, éclairée et expliquée au public par les politiques, ce qui suppose qu’il en connaisse les bases comme les développements et qu’il les ait fait siens. On s’éviterait ainsi bien des batailles, la plupart de ces politiques si dénigrés étant intellectuellement beaucoup plus honnêtes qu’on ne le croit et étant capable de s’entendre sur des données démontrées.

Alors : yaka ! Y’a qu’à exiger cet apprentissage par les élus, mais aussi par les journalistes, pas toujours eux-mêmes issus d’une suffisante formation scientifique et qui se précipitent souvent davantage sur des invectives ou des arguments caricaturaux que sur des démonstrations.

L’argent public est rare ; cela constitue une raison absolue d’exiger de ne le placer qu’à bon escient, non en père de famille, mais en « evidence based politician » comme l’exige ce monde nouveau que nous avons à déchiffrer et à construire.

 

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel