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Le temps des cimetières

Le temps des cimetières, du souvenir, du poids du temps déjà passé.. Mais ce n’est pas de cela que je veux écrire, mais de la minéralité de nos cimetières alors que nous sommes tous ou presque désireux de végétaliser la ville et de la repeindre aux couleurs de la nature.

Pierres tombales, petites chapelles, monuments orgueilleux.. Nos cimetières ne célèbrent pas cette symbiose entre la mort, la nature, la re-naissance, que la conscience universelle traduit en formules philosophiques, religieuses ou en simples mots (inhumation, enterrement..).

Certes, le temps du jour des morts et de la Toussaint voit refleurir les tombes. Mais les fleurs en pot, que le premier froid, le premier grand vent, abattra, montre bien la brièveté de cette floraison, son caractère circonstanciel, alors que c’est l’éternité de la nature qu’il faudrait célébrer. Les cimetières allemands sont de ce point de vue tellement plus éloquents et j’ose dire plus rassurants : fleurs en terre, arbustes se penchant sur de sobres pierres tombales dressées comme de minuscules menhirs au lieu de ces couvercles pesants dont nous couvrons les tombes pour être bien sûrs que les défunts ne s’en échapperont pas. Point d’oiseaux, point de saisons, point de vie dans nos cimetières, alors que c’est l’éternité du souvenir et la continuité de la vie au travers des générations que nous allons y chercher.

A Bordeaux, j’exprimerai en conseil municipal, ce souhait partagé de voir plus de vert entourer les défunts, réchauffer les voies qui nous font circuler entre eux ; plus d’oiseaux accompagner les paroles que nous leur disons en silence.. Et dans le bref espace laissé entre les tombes, des herbes vivaces apporter témoignage que la vie est toujours la plus forte.

Verte ou pas mûre ?

En Bavière l’écologie naît de l’amour et de la mise en valeur de la nature. Nulle surface bétonnée à outrance pour renvoyer la chaleur de mur à mur, pas ou peu de séparations entre les maisons pentues, si ce n’est des barrières très perméables d’arbustes fleuris, des arbres à profusion jusqu’aux abords de la ville et de larges tapis de gazons rustiques, si bien respectés, si bien entretenus qu’ils paraissent peints sur le brun des sols.

C’est cette écologie que j’aime et qui me fait parfois moquer des procureurs d’une écologie de contraintes et d’amendes. Certes, il faut des régles, il faut des lois, et ce n’est pas à « nos amis allemands » qu’on apprendra cette volonté d’ordre. Eux-mêmes disent volontiers « qu’en Allemagne, tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire, et inversement ». Ce qui d’ailleurs met à mal le préjugé qui affirme « que le livre de l’humour allemand est le plus court du monde ».

De ma fenêtre, le temps d’un week-end, à 15 kilometres du centre de Münich (2,5 millions d’habitants, c’est à dire plus de deux fois la métropole bordelaise), des champs, des prés, des sapins et naturellement posées au milieu d’eux, des dizaines de maisons, individuelles ou collectives, homogènes dans leur style traditionnel, bien que pleines de fantaisie et de modernité. Sur les toits pentus pour que la neige ne s’y amasse pas par trop lourds paquets, des panneaux solaires si nombreux, si bien logés, qu’ils paraissent déjà appartenir à la tradition locale.

Modèle allemand ? Bien sûr que non, pas partout, pas pour tout, mais modèle écologique sans aucun doute. Munich est en tête pour nombre de ses performances en ce domaine comme pour ses ambitions. Preuve que  l’écologie peut n’être pas une écologie de « Feldwebel » (caporal chef) et s’installer aussi efficacement dans la vie et la politique d’un territoire qu’une écologie de contraintes et d’interdictions.

Mettre la campagne en ville

En mai 68, fleurirent des slogans merveilleux dont l’un fait aujourd’hui bon office, en le modifiant tant soit peu : « Mettre les villes à la campagne ».

C’est aujourd’hui « Mettre la campagne en ville » qui peut rendre nos cités vivables et leur permettre de conjuguer santé et agrément. Les efforts de « densification urbaine » des procureurs de l’écologie sacrifient bien souvent les espaces végétalisés à l’appétit des promoteurs. Exemple à Bordeaux dans le quartier hier bien nommé du « Grand Parc » où se concentrent les efforts de rattrapage du retard de la ville en logement social, au détriment de l’aération et de la belle disposition « sans vis-à-vis » du bâti.

Le projet de végétalisation urbaine que j’ai présenté à l’occasion des élections législatives à la fois dans mon bilan (pour les propositions déjà faites à Bordeaux) et dans mon programme  fait aujourd’hui des émules sur les médias sociaux : la canicule de la semaine qui vient de s’achever a rappelé brusquement les avantages de l’ombre. Qui dit « ombre » dit de préférence « arbre » à « mur » et la fraîcheur ne se trouve guère dans la minéralisation urbaine dont le Maire de Bordeaux n’a que trop abusé. La place Pey Berlan, minéralisée jusqu’aux bans publics est plus propre l’été à la cuisson des oeufs  qu’au bol d’air dont les citadins ont besoin…

La santé a aussi beaucoup à voir avec les espaces naturels et les scientifiques ont démontré que vivre à leur proximité était facteur de longévité et de santé. Outre l’ombre, arbres et arbustes oxygènent l’air, reposent la vue, amortissent les bruits, apaisent et rafraîchissent. Les arbres multi-décennaires invitent à la réflexion et à la rêverie. Le jardinage, pour tous ceux qui ont la chance d’un jardin ou même d’une terrasse, a été identifié* comme une activité décisive contre le vieillissement, à la fois par l’activité physique qu’il procure mais aussi parce qu’il est un investissement sur l’avenir, lequel protège du repli et du désarroi.

La nature est aussi une grande enseignante : elle élargit le vocabulaire, apprend le cycle des jours et des saisons, fait découvrir le jeu fugitif des couleurs et des odeurs. Pas d’artiste, qu’il soit peintre, musicien ou écrivain, qui n’ait trouvé en elle son fond de connaissances. Je plaide pour une ville qui soit non seulement verte mais botanique, où l’on indique le nom des plantes, des arbres le long des rues. On n’aime bien que ce qu’on sait nommer et le goût de la nature se développe en en apprenant le langage. Je préfère une « avenue des micocouliers » à une « place Stalingrad », tout en rendant hommage au poids de souffrances que porte le nom de cette ville.

Agriculture et jardinage urbains, récupération des eaux pluviales, compostage public, végétalisation des voies et des rues, murs de lierre accueillants aux oiseaux nicheurs, fontaines et bassins .. Et si la politique retrouvait la fraîcheur des slogans d’il y a 50 ans ?

*par les travaux de l’@ispid_bordeaux et l’équipe du Pr Dartigues

Le cycle des acanthes

S’il y a un moment où je regrette de n’être pas entourée de petits enfants, c’est quand la nature se révèle autour de moi pour ce qu’elle est : le plus formidable des outils pédagogiques.

Tout à l’heure, bienheureusement atterrie dans mon jardin, je me suis adonnée à un sport très fin : la cueillette des graines d’acanthes.

Il faut à cet exercice un peu de familiarité avec cette grande et noble plante qui n’a pour autant aucune valeur marchande. On  comprend le facile symbole. L’acanthe, qu’aucun pépiniériste, aucune chaîne jardinière n’a encore repérée, est de ce point de vue de l’ordre des biens de l’esprit, de ceux que l’on partage, que l’on donne ou que l’on échange pour les seuls plaisir et amitiés.

Elle n’en est que davantage un outil pédagogique enviable et tout autant le cycle exemplaire de son cours. Fort résistante, elle sort de l’hiver ridée, fanée ou carrément gelée. Une coupe sévère des feuilles endolories accélère le prodige : d’autres plus petites, plus vertes, plus fortes, plissées mais cette fois comme des nouveaux nés, non comme de très vieilles dames, repartent dès les jours suivants. L’acanthe est robuste, preuve que les mauvaises herbes peuvent être belles et bonnes.

Quelque part entre avril et juin selon les climats, part du coeur de ce qui ressemble alors à une somptueuse salade dont trois feuilles suffisent à faire un fragile déguisement à une petite fille, une sorte de tout petit champignon qui va bientôt se hisser, se hisser, sur une hampe solide, dépassant glorieusement la plus haute feuille. La plus grande de celles que j’ai coupées ce matin mesurait un bon 2 m 50.

De semaine en semaine (et pour moi de  dimanche en dimanche quand je les retrouve), ces hautes hampes se couvrent de boutons puis de fleurs mauves, penchées de chaque côté de la hampe, le tout avec une élégance très aristocratique : port droit et élevé, grâce des fleurs courbées comme des petites princesses timides et étonnées d’être là.

L’été avance. Les petites princesses fanent doucement autour d’une noix verte et lisse qui va bientôt brunir.  En se promenant le long de ces « vivants piliers », on entend bien souvent des craquements : la surface de la noix éclate, le petit nid bien protégé où dorment les graines se découvre et les uns et les autres peuvent s’arrondir au doux soleil jusqu’à être gorgé de toutes les chaînes de réactions chimiques qui les feront le printemps suivant revenir à l’alpha du cycle de l’acanthe.

Il est souhaitable de ramasser ces graines, au demeurant brillantes et brunes comme de doux grains de café  : elles sont sinon projetées au quatre coins du jardin, lequel en 2 ou 3 générations s’en trouvera couvert à l’égal du jardin d’Yves Saint Laurent à Marrakech qui partageait avec moi cette belle amitié. Oserais-je dire : « excusez-moi du peu », car comme on sait ce sont nombre de poètes, de tailleurs de pierre, de joaillers et de bâtisseurs de cathédrales qui se trouvent réunie dans cette confrérie.

Seul tout petit désagrément : outre la prolificité de la plante, les petites piqûres du bout des doigts quand on veut séparer la graine de son cocon de petites feuilles séchées et acérées. Rien de vraiment désagréable, juste un petit rappel que l’homme n’intervient jamais tout à fait impunément dans le cycle de la nature.

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel