m

Le tunnel, ou comment faire carrière sans mettre un pied dans la vraie vie

Ils ont fait sciences- po, passé ou non un concours de l’administration, regardé autour d’eux… Et finalement trouvé un poste d’attaché parlementaire ou un job dans une collectivité et, pour les plus chanceux ou les pls habiles, dans un « Cabinet ».

Dans ces milieux un tantinet confinés, ils ont pris le virus. Rien à reprocher : la densité d’intelligence y est grande, les sujets d’intérêt nombreux et variés, l’endogamie forte et l’impression d’appartenir à une sorte d’élite pensante, bougeante et agissante, porteuse. L’envie vient d’aller plus loin, de fabriquer soi-même de l’immédiat au lieu de travailler à façon celui des autres, de projeter, d’échafauder, de bâtir ou du moins de l’essayer.

Cinq ou dix ans ont passé, ils entrent à leur tour dans la piscine. Grand bain pour les museaux les plus fins (tenter une élection uninominale, cantonale le plus souvent), moyen bassin pour la plupart (figurer sur une liste municipale ou régionale), pataugeoire pour les encore timides (tenir un rôle dans une équipe de campagne). Ils gagnent ou ils perdent, mais ils demeurent dans cet entre-soi réconfortant où l’on partage les mêmes idées avec pour conséquence de croire toujours avoir raison.

Ceux qui gagnent du premier coup sont les plus à risque : ils n’ont plus seulement le virus, mais la maladie. Grand air, bobine sur le journal après l’avoir eue sur de grandes affiches, ils sont quelqu’un, c’est à dire déjà plus tout-à-fait eux-mêmes. Les autres retenteront. Ce sera plus ou moins long, plus ou moins brillant, quelquefois péniblement stationnaire, mais ils arriveront quelque part, même si pas toujours où ils voulaient.

Le danger maximum vient avec le succès dans une élection où l’on a été parachuté, voire même que l’on a sélectionnée sur la carte si on a eu la chance d’être dans les instances du Parti, d’avoir un mentor de grand renom ou de grand pouvoir, d’être choisi par un qui ne voulait/pouvait pas se représenter.

S’il est élu, le parachuté devient un conquérant. Nul, sur le terrain, ne le connaissait avant, ne sait vraiment quelles études il a faites ou s’il a eu jamais la moindre responsabilité. Son document électoral est son seul passeport. « Engagé dès mon plus jeune âge, j’ai fait mes études de droit, tout en travaillant pour financer mes études » (nombreuses variantes : sociologie, écoles de commerces…). Rien que les citoyens aient partagé ou vécu avec lui,  pas de précision sur le « travail » pour financer les-dites études. Il n’est pas rare, mais pas obligatoire, qu’il s’agisse d’un stage dans le cabinet d’avocat paternel.

J’éxagère, évidemment, du moins dans l’apparence de généralisation. Un nombre non négligeable de ces « porteurs de virus » viennent d’un « milieu modeste » (expression détestable mais que ceux qui sont devenus immodestes utilisent souvent). Ils ont réellement fait effort, passé des concours : ils resteront plus longtemps porteurs sains et pour quelques rares n’auront pas, ou très peu, de signes de la maladie. Le manichéisme n’est pas mon fort : même de milieu immodeste, quelques uns passent à travers les gouttes. J’en connais et je les en remercie.

Après trente ans d’entre-soi, les voilà à leur tour à la tête d’une écurie : député entouré de ses trois assistants parlementaires et de quelques dizaines de congénères faits au moule; maire à la tête de son Conseil et de son Cabinet. .. Beaucoup demeurent au coeur du mouvement qui les a formés. Au PS, cela s’appelle des courants, après avoir été des motions. A l’ump, cela n’a d’autre nom que celui du mentor, généralement candidat potentiel à la prochaine présidentielle.

Dans cette période, ils apprennent à tuer le père, si ce n’est déjà fait, un exemple récent qui a défrayé la chronique en témoigne. Ils s’agitent aussi pour peu que leur Parti soit celui du Président pour devenir ministre ou secrétaire d’Etat. Peu y arrivent, mais les remaniements sont aussi faits pour ça : élargir le champ des possibles.

Dans cet exercice, deux choix : s’opposer à peine un peu plus qu’il ne faut pour qu’il soit bénéfique de vous enrôler. Être au contraire toujours présent dans la sphère du pouvoir, se rendre souvent au ministère auquel on croit pouvoir prétendre, envoyer des notes, rencontrer les conseillers. Bref, être là, se faire connaître, tout cela n’ayant en soi rien de très grave.

Ce texte n’a d’autre objet que de répondre à un questionnement que j’entends plusieurs fois par jour depuis quelques semaines : comment cela est-il possible ?

« Cela » ? Perdre tout pied dans la réalité, n’avoir plus le sens commun. Agir comme si l’on était au-dessus de la règle la plus élémentaire, ne plus savoir entendre raison ou n’en plus avoir. Je n’ai besoin ni de noms, ni d’exemples : ils ne sont que trop nombreux.

L’explication la plus plausible est la plus simple : ces élus n’ont jamais connu la vie réelle. Entrés tôt dans le tunnel, ils n’en sont jamais ressortis. Compter pour savoir si l’on pourra payer ses deux employés à la fin du mois, si l’on aura soi-même assez pour assumer la scolarité du petit, le loyer… . Suivre de près météo, récoltes et prix des matières premières pour maintenir son exploitation agricole, répondre aux appels les nuits de garde en faisant sur le chemin vers le suivant la revue des traitements qu’on aurait pu oublier, toutes ces heures et ces jours où le réel est dur comme ciment et ou il faut le coltiner sans échappatoire possible, tout cela, ils n’en savent rien.

J’ai pour voisin à l’Assemblée un des deux seuls exploitants agricoles qui y siègent. Il s’y sent sur une autre planète et raisonne d’une manière différente. Pour sûr, il sait ce que payer une facture veut dire ou répondre à une échéance.

On dit bien souvent qu’il faut des jeunes en politique pour régénérer les pratiques et on juge trop souvent les Assemblées ou les Gouvernements à leur moyenne d’âge. Il faut des jeunes, c’est une évidence, pour leur engagement, leur regard, il en faut comme il faut des femmes et plus encore, des élus issus de milieux différents, ayant des expériences différentes. Les jeunes pourtant, entrés tôt dans le tunnel et le gravissant sans interruption, sont plus à risque de comportements « hors sol ». Ils sont dépendants de la politique à tous les sens du terme, y compris financier. A tous, je conseille d’aller voir aussi ailleurs, d’apprendre autre chose, ils n’en apporteront que davantage à la politique et aux causes qu’ils défendent.

La loi sur la parité a eu plus d’un mérite, mais un surtout : faire entrer dans le sérail des femmes qui, par définition, n’en venaient pas. C’est à vrai dire la seule explication pour celles qui « pratiquent la politique (un peu) autrement ». Les pas-jeunes, de même, n’ont pas a priori tous les mérites. L’histoire que j’ai racontée est éminemment valable pour les élus, quel que soit leur âge, à mandat répétitif et le non-cumul dans le temps (pas plus de 3 mandats identiques successifs) devra bien finir par s’imposer.

Il n’empêche que… Dans le choix que vous aurez à faire de l’un ou l’autre candidat à l’une ou l’autre élection, il peut n’être pas inutile de regarder s’il est passé par la case Réalité.

 

 

 

Ces héros de notre temps (« Il faut aimer la politique X »)

Pendant ce temps-là, un mien copain, soigné par un autre mien copain, parcourt les rues d’Aleph, de Gaza ou de Donetsk entre bombes et obus. Chaque traitement, chaque examen dont on attend le résultat est à haut risque, et au bout de la rue, nul ne sait ce qu’il trouvera.

Ce même copain et ses congénères, quand il entend à la radio parler de la stratégie de Pierre ou de Paul pour 2017, il n’en pense qu’une chose « 2017, est-ce que je serai-là ? »

A vrai dire, moi aussi, quand j’entends Pierre ou Paul, déclarateurs politiques précoces, quelquefois à répétition, se poser assurément pour les primaires ou autre concours de saut programmé dans 3 ou 4 ans, je m’interroge aussi pour lui « Sera-t-il là, se pose-t-il même la question à être ainsi si assuré ? »

45 ans de médecine et une bonne trentaine de cancérologie m’ont appris que le futur est un pari. Plus important, ils m’ont fait partager le quotidien de « ces héros de notre temps » qui franchissent les épreuves que nous (les médecins) leur infligeons avec un courage qu’ils ne se connaissaient souvent pas eux-mêmes, voulant tout savoir, des risques comme des chances, et continuant à vivre, parlant de ces bombes et de ces obus d’une voix naturelle, ou presque naturelle, supputant le destin comme les commissaires d’une enquête dont ils ne sont en rien coupables mais il leur reste à savoir s’ils seront la victime.

La politique, oui certainement, il faut l’aimer ; plus certainement encore, il faut la remettre à sa place.

Il faut aimer la politique (I)

Ce sont les mots clefs du discours de Jean Pierre Bel dans le jardin du Sénat le 23 juillet 2014. Jean Pierre Bel a choisi de quitter la vie politique au faîte d’une carrière inattendue (être le premier Président de gauche de la haute assemblée) et ce soir là, il s’est confié. Un peu : ce n’est pas dans sa nature. Il a tracé les étapes de sa vie, vie d’homme et vie politique, de son enfance de gamin pauvre dans la banlieue de Toulouse, jusqu’à cette Présidence du Sénat qui nous a réjoui le cœur en 2011.

J’ai dit  que cette carrière était inattendue parce qu’elle n’était pas préméditée, réfléchie, calculée. Tout fut engagement et spontanéité, du choix de l’Ariège pour établir sa base électorale dans le petit village de Milanès, du compagnonnage avec François Hollande et jusqu’à l’élection au Sénat, puis à la présidence du groupe socialiste de cette noble Assemblée.

La suite s’arrêtait là, ce beau soir, où Jean Pierre Bel disait « au revoir », sereinement et semble-t-il assez joyeusement, dans le but de retrouver son Ariège et une vie plus libre. La morale de ces années passées dans la politique, vécue comme le service des autres, fut donc celle là : il faut aimer la politique.

Cela paraît simple et quasi-insignifiant. Aimer la politique parait en effet nécessaire si l’on veut lui consacrer le temps qu’elle exige. Tout montrait au contraire, à l’écoute d’un récit où les difficultés n’avaient pas manqué mais n’avaient apparemment laissé ni amertume, ni cicatrice, que ce fut un apprentissage, puis une conviction et enfin une vérité, presque une consigne, qu’il convenait de transmettre.

La phrase dut marquer François Hollande car il la reprit deux fois dans son allocution. Elle me marqua plus encore : j’ai aimé la politique dans le court temps où j’y ai vécu, où je m’y suis consacrée, pleinement à partir du moment où j’ai été élue députée, totalement dans celui où j’ai été Ministre.

Maintenant encore ? C’est peu dire que ma non-reconduction lors du remaniement d’avril 2014 a été une blessure, blessure sans doute inguérissable si ce n’est par l’écriture, si du moins cette écriture va quelque part.

Hollande a fait ensuite le tour de l’assistance, saluant l’un, bavardant avec l’autre, apparemment amène et désireux d’être agréable à tous. Venant à moi, après un mot ou deux de sa pare, je lui ai dit que j’avais été marquée par cette phrase qu’il avait reprise et soulignée. Sa réponse a été seulement de la répéter de nouveau accompagnée de quelque chose comme « en effet ». Avant qu’il passe au suivant, je me suis risquée à ajouter.

-«Où nous en sommes, il faut surtout la faire aimer »

Sans doute, a-t-il à peine entendu et il continué son chemin. L’assistance était nombreuse et il n’avait pas l’intention d’entamer conversation.

C’est cette petite phrase en tout cas et sa déclinaison « il faut faire aimer la politique » qui me permet d’écrire, une page ou cent,  je ne sais pas.

Hemingway ne disait-il pas « il suffit d’écrire la plus petite phrase vraie et toutes les autres viendront ».

 

Politique-de-basse-fosse

Voir Alain Juppé, ancien Premier Ministre, brandir et lire dans un débat télévisé un tract qu’il attribue à son concurrent Vincent Feltesse, sommes-nous donc tombés si bas à Bordeaux ?

Le tract vient d’un organisme de quartier proche de la Municipalité. Il ne portait pas notre logo de campagne et personne, ni Alain Juppé, ni son entourage ne pouvait ignorer que cette médiocre défense, en face d’un Feltesse maître de soi comme des dossiers, relevait de la manipulation pure et simple.

Le deuxième débat qui a opposé le maire actuel, maire depuis 18 ans, à son concurrent n’a pas été avare de petites manoeuvres et manipulations de même taille. Changement de position de Juppé sur deux grands dossiers (refits des bassins à flots et nouvelles compétences pour la CUB ), affirmations indécentes (reprocher à VF le retard des travaux de la ligne D du tram quand c’est lui-même qui les a fait repousser pour qu’ils n’aient pas lieu pendant les législatives de 2012 qui devaient m’opposer à lui) , se flatter de sa politique culturelle de proximité quand 18 ans durant il a laissé en déshérence la salle des fêtes du quartier populaire du Grand Parc, équipement culture emblématique de ce quartier populaire). Et, last but not least, évoquer la morale pour l’élection à la communauté urbaine de Bordeaux, quand la sienne en 2001 n’a été due qu’au dévoiement de 2 voix de gauche …

La moutarde a du monter au nez de bien des Bordelais, pas forcément de gauche, mais attentifs à cette ville et son histoire récente.

Sans doute, l’absence d’alternance à Bordeaux depuis 70 ans donne-t-elle à Alain Juppé ce sentiment  qu’il n’y a pas de limite à l’impudence qui ruine la crédibilité politique. Nous avons pourtant franchi un pas assez rude avec l’utilisation à la télévision par celui qui fut le chef du Gouvernement de la France d’un faux tract relève de ces trous noirs et malodorants que notre langue nomme éloquemment « culs-de-basses-fosses ».

Le principe de Saint Florian

La droite pousse un peu loin, à l’encontre de notre Gouvernement, le modèle allemand.. Jusqu’à se recommander d’un principe de ce pays connu sous le nom de « Principe de St Florian ».

Il s’agit de la réclamation générale de « faire des économies » (sous-entendu : pour combler la dette qu’elle a creusée). Point de dépense, qui est le signe de l’irresponsabilité de la gauche en matière de gestion, mais des économies. Economies structurelles, économies dans le service public, l’Etat, économies partout.

Cela tombe bien, c’est ce que nous faisons. 10 milliards dans cette première année, du jamais vu. Pas assez pourtant et à chaque séance de questions d’actualité le feu serré des copéïstes, fillonistes, mairistes, borloophiles, jacobins (les fidèles de Christian Jacob) …vocifèrent pour en réclamer davantage.

Davantage, oui, mais ni sur la famille, ni sur le budget de la Défense, ni sur le financement des retraites, ni sur les transports (du moins ceux qui passent par chez eux), ni sur les collectivités (surtout les leurs), ni sur les territoires, moins encore sur le handicap, les tarifs médicaux,..

Bref, partout, mais pas chez eux. Dans tous les domaines sauf ceux qui les touchent et moins encore ceux qui touchent leurs électeurs. Le paysan allemand a raison qui prie Saint Florian: « Heiliger Sankt Florian, verschon’ mein Haus, zünd’ andre an ! »

« Vénéré Saint, épargne ma maison, brûle plutôt celle du voisin ».

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel