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Les mots simples

Les mots simples sont comme les pierres dures : inusables, inaltérables, traversant le temps et frappant les consciences. Le problème est justement qu’ils sont si forts que presque plus personne ne les utilise : politiques, journalistes, penseurs de tous poils.. Il n’y a plus guère que la religion pour être capable de parler simplement des pauvres, des riches, de la beauté de la nature..

Ce mot « pauvre » est sans doute le plus caractéristique. Comme les autres, j’ai toujours un peu de réserve à l’utiliser, craignant que l’on y voit la moindre nuance de mépris. Pourtant, je déteste par-dessus tout l’usage de « modestes » les qualifiant (« les personnes modestes », « les ménages modestes ») : les pauvres ont-ils en plus le devoir d’être modestes ou considérés comme tels ?

Pendant mon temps de Ministre des « personnes âgées » -et maintenant encore- je répugnais pourtant à utiliser le mot « vieux ». Tout simplement, parce qu’il n’est pas, en français, le contraire de « jeune », lequel est « âgé ».  « Vieux » contient une nuance de diminution, de perte, de vulnérabilité, qui n’est aucunement le fait de tous les âgés. « Vieillir » en français n’est pas l’équivalent de « to age » en anglais (par exemple dans « active ageing »), dont la juste traduction est seulement « avancer en âge ». Un mot simple doit être pur de toute mésentente.

« Pauvre », « riche », « beau », « laid », « fort », « faible », « infirme » pour les adjectifs,  « mensonge », « humiliation », »mépris »  pour les substantifs et tant d’autres  … sont si directs que vous ne les lirez guère dans les colonnes des journaux. L’un appartiendra à « un milieu favorisé », l’autre sera « fragile », le troisième « vulnérable »..  Les « paysans » ont disparu, les « ouvriers » restent le corps social majeur de notre pays mais sous le nom de « salariés » ; les artisans, reconnaissons le, survivent grâce à la fierté de leurs mouvements, syndicats et associations ;  le « repas » est de plus en plus cantonné à ses usages commerciaux, le « jour de repos » .

Le plus simple des mots simples, et si j’ose dire, le plus définitif, est « la mort ». Que n’invente-t-on pas pour ne pas l’utiliser ? La rubrique nécrologique en constitue la preuve quotidienne: tel a disparu ou s’est éteint, tel autre nous a quitté quand il n’a pas été « rappelé à Dieu ». Faisons-nous un mot de condoléances ? La mort devient le décès (le « trépas » est, lui, mort de sa belle mort..) ou bien l’on use des périphrases précédemment citées. Pire, si c’est d’un cancer (autre mot simple) qu’est mort le défunt : ce sera alors une « longue maladie » qui l’a emporté.

Les titres de livres ou d’oeuvres artistiques se contentant de ces mots simples, ne sont pas les plus nombreux, mais ils sont à l’égal de leur titre, des livres forts : « la peau » de Malaparte, « le mépris » de Moravia (et du même « l’ennui ») , « la peste » et « l’étranger » de Camus…

Deux mots simples, en titre, ne perdent rien de leur force : « l’exil et le royaume », « la puissance et la gloire »… Mais ils jouent non seulement de la simplicité mais de la réminiscence biblique.

On l’aura deviné, c’est une lecture qui me précipite sur mon ordinateur : l’encyclique « sur la sauvegarde de la maison commune » du pape François. Outre son intérêt politique profond, le texte frappe par la simplicité et l’essentialité de son langage.

Que l’on m’autorise un mot encore sur le génie de la parole de ce Pape. En plein débat dans  sur « le mariage pour tous » et la  place des homosexuels dans l’église, François a eu cette parole définitive  : « Qui suis-je pour juger ? »

Les phrases simples, les mots simples, ne sont jamais de simples mots.

 

 

 

 

 

 

LA question

Le vieil Emmanuel Kant, que l’on croit à tort très éloigné de la question de Charlie Hebdo assurait que « la liberté d’expression est indispensable à la liberté de pensée ».

J’approuve. Et c’est ainsi, interpellée par LA question que se posent ce soir des milliers de personnes, je vais vers mon blog pour y trouver le fil d’une réflexion sinon d’une réponse.

Ce qui n’est pas interdit est-il obligatoire ? Autrement dit, la liberté d’expression que nous chérissons et tenons, comme le vieil Emmanuel, pour conditionnelle de la Liberté, doit-elle être utilisée à tout moment et pour tout objet, comme un devoir républicain ?

Ce pourquoi tant d’hommes sont morts, et les derniers, il y a quelques jours à peine, vaut-il la vie d’autres encore, fût-ce parce qu’on s’en prive ou qu’on s’y contraint soi même ?

Ce qui nous unit doit-il nous diviser ? Ce qui est intangible connaît-il des limites ? Ce qu’exprime le grand rabbin de France Haïm Korsia « Dès que l’on dit « liberté d’expression, MAIS… signifie qu’on la limite » est-il plus fort que ce que dit le pape François « la liberté d’expression trouve sa limite dans ce qui blesse l’Autre ». Dans les deux cas, les citations ne sont pas littérales et, très probablement, affaiblies. Que chacun veuille bien leur rendre, dans sa tête, toute leur force.

A Cenon aujourd’hui, ville de la rive droite de la Garonne à très forte population immigrée, le Maire s’interrogeait ; en écoutant les informations venues du Mali ou du Sénégal, comme lui, je ne savais rien faire d’autre et découvrais qu’un de mes adages favoris « quand on s’interroge, c’est qu’on s’est déjà répondu » n’est pas juste à tous les coups. D’où l’intervention d’Emmanuel Kant et  de ce petit média qu’est le blog. Pas si petit : il y a quelques jours, un jeune blogueur a été menacé à cause de ce qu’il écrivait  de 1000 coups de fouet en place publique.

La Une de Charlie Hebdo que chacun aujourd’hui se dispute est un message d’apaisement. « Tout est pardonné », peut-on dire mieux ? Mais nombre de musulmans n’en ont retenu que la caricature du prophète, ce qui n’est au demeurant pas exprimé formellement mais que la logique de l’histoire des caricatures attachées à ce journal, suggère.

Plusieurs morts, des églises incendiées et, dans l’hexagone, des visages fermés qui n’ont pas rejoint l’exceptionnelle et grande en tous points manifestation du 11 janvier.

Ces visages fermés sont ceux de citoyens français. Issus de l’immigration, récente ou lointaine, mais en majorité français. Que faut-il penser ? S’ils sont Français, c’est qu’ils adhèrent aux lois et valeurs de la République, où la liberté d’expression a une haute place et chèrement acquise. Ou au contraire : s’ils sont immigrés, nous devons les considérer comme des invités, et comme nous le ferions pour des invités, nous mettrions tout en oeuvre pour ne pas les froisser dans leurs convictions comme dans leurs traditions.

La logique « ils sont Français » l’emporte, et pourtant nous ne restons pas en repos. Certes, les religions chrétiennes, majoritaires sur notre territoire, sont choquées du blasphème mais ne le vivent pas comme une coupure ou un rejet de la République. Oui, mais, mais encore, faut-il exiger, qu’une minorité plus récente ici, plus exposée aux vents venus d’ailleurs, partage ce que je me permets d’appeler une maturité dans la foi.

Faut-il placer l’apaisement avant toute chose ? Se dire : dans la période actuelle, seule la main tendue a des chances d’être entendue. Mais une autre voix répond : des Français, en parfaite concordance avec notre vivre ensemble et nos valeurs républicaines, viennent d’être tués, pris en otage, devons-nous d’aucune façon plier le genou et paraître tendre l’autre joue ?

Je n’ai que des questions, pas la moindre réponse de même taille que l’interrogation. Je sais ce que, dans le vécu quotidien, je ferais : trouver les mots, expliquer, mettre le partagé  bien avant le séparant et l’excluant. Mais même de cela, je ne suis pas autrement fière.

Nos mondes qui s’opposent, s’affrontent et quelquefois font connaissance en direct, ne sont pas en même stade de maturité. Aucun jugement ici, mais le constat que l’imprégnation par la culture universelle n’est pas la même ici et ailleurs. Du temps de l’inquisition, on brûlait les femmes quand en dessinant une croix sur leur peau, la peau se gonflait et s’irritait : le diable les dénonçait.

Ces femmes avaient un terrain allergique et urticarien. Les hommes au demeurant n’était jamais soumis à ce test qui ne faisait que trahir le taux de libération d’histamine dans les tissus.

C’était alors un des visages du diable. Blasphématoire j’aurais été si quelque génie scientifique m’avait révélé la simple réalité. Les religions évoluent avec la conscience humaine. Ce qui n’est en aucun cas une manière de les nier, mais qui peut être, au choix de chacun, une manière de les violenter et de les presser de se mettre à l’heure, ou de les respecter.

La seule chose dont je sois sûre, c’est qu’il n’y en a qu’Une et qu’elle a selon les siècles, les climats, les cultures, les traditions, des visages changeants et quelquefois opposés. Serais-je née juive, musulmane ou bouddhiste, j’écrirais sans doute autrement, je penserais sans doute autrement et c’est pour cela que j’incline au respect et à la concorde.

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel