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Garder la tête froide

Garder la tête froide n’est pas chose aisée dans cette campagne chaotique qui amène à se poser la question de l’opportunité de conserver les 2 scrutins qui se rapprochent à même date.

Pourtant, il le faut et c’est à cela que devraient inciter les médias. La conférence de presse de François Fillon ce 1er mars était quasi-gaullienne pour le ton, mais beaucoup moins sur le fond.

Tout d’abord les faits qui amènent à une probable mise en examen correspondent-ils à des « erreurs », comme il l’a dit,  ou à de véritables fautes. La justice le dira (en utilisant ou pas un autre terme, celui de « délit ») et, pour cela, je ne veux pas revenir sur ce débat.

L’enquête est-elle trop précipitée, comme le soupçonne François Fillon, supposant par cela même qu’elle est télécommandée, ce qui ne pourrait être que par le pouvoir en place. Le simple bon sens dit « non » : n’est il pas légitime de vouloir aboutir au plus vite au regard de l’imminence de l’élection présidentielle. C’est cette imminence qui fait que la  situation n’est pas ordinaire.

Je crois par ailleurs comprendre que le 17 mars (2 jours après la convocation de Fillon) est la date butoir pour que le Conseil Constitutionnel puisse engager une action d' »empêchement », susceptible de déclencher un retard de la date prévue du scrutin. Cela n’est sans doute pas l’exacte formulation : je ne veux en aucun cas me déguiser en constitutionnaliste d’opérette et j’en appelle par exemple au Bordelais Pascal Jan pour nous éclairer. Remarquons au passage que Fillon en avait appelé dès le début de l’affaire à ce que « ça aille vite ».

La justice est-elle indépendante ? Tous, sur tous les bords, ont salué le fait que le quinquennat de François Hollande avait été de ce point de vue particulièrement exemplaire. Pas sa mise en cause, et de la justice et de la démocratie, François Fillon fait peser un lourd soupçon sur tous ceux qui mènent l’enquête et l’instruisent. A noter que dans ce premier temps d’enquête, celle-ci est forcément à charge, puisque la partie en cause a seulement à répondre à ce qui lui est demandé et qu’elle n’a accès au dossier et à agir à décharge qu’une fois justement la mise (éventuelle, ici) en examen.

La presse en a-t-elle fait trop et a-t-elle fait montre de partialité ? Eternelle question : la presse a dénoncé des faits, essayé de les établir et, en effet, ni dans le cas de Fillon, ni dans tant d’autres, titré et commenté  de manière à retenir l’attention et la curiosité du lecteur, prompt à s’emballer quand il s’agit d’hommes ou de femmes poliques. François Hollande a profité de ce mauvais temps et de bien d’autres..

Coup du sort ou du hasard : un journaliste de @sudouest m’appelle à ce moment précis, déviant un légitime tantinet sur la situation de la gauche (et si Juppé avait été rappelé du banc de touche si Fillon s’était retiré ?), comme sur une possible nouvelle donne à Bordeaux (les élus MODEM de la municipalité auraient-ils alors été mis en situation peu confortable ?..)

J’en reviens à ma tête froide. Nous sommes sans prise sur la tenue ou non du scrutin, nous en avons sur son issue. Nous devons montrer aux électeurs, que la politique n’est pas ce fleuve tumultueux qui les rebute, mais aussi le champ de la responsabilité dans les paroles comme dans les actes.

 

 

 

 

Explication d’un vote

« Attentiste », dit de moi notre cher « tire bouchon », qui est la rubrique humour  de notre quotidien Sud Ouest. A qui me l’a demandé (cette semaine le journal « le Monde »), j’ai exprimé sans réserve que je voterais Manuel Valls. Il est vrai, au contraire, que je n’ai pas fait campagne pour l’un ou l’autre candidat. La raison est simple : le débat qui aujourd’hui nous divise aurait dû être tranché par les militants du Parti Socialiste, au sein de ce que l’on appelle un « congrès », mot qui n’est pas sorti grandi, avouons-le, du congrès de Reims. Mais c’est une autre histoire.

Pourquoi ? Fondamentalement, parce qu’il me semble que ce qui nous sépare aujourd’hui d’une droite dure et a fortiori de l’extrême droite, suffit à nos efforts : je déteste l’idée même de nous battre entre nous. De la même manière, que je n’ai jamais accepté de débattre sur quelque média que ce soit avec un socialiste, c’est pour moi un crève-coeur de mettre sur la place publique ce que je ne partage pas avec les uns ou les autres d’entre eux. Le débat profond qui a été entamé lors de ces primaires devait, d’abord, avoir lieu avec ceux qui se réclament de l’histoire, des valeurs, des actions que ce mot de « socialiste » contient.

C’est d’abord la notion d’égalité, fil rouge indiscuté de tout ce qu’a écrit Jean Jaurès, et la volonté de donner à chacun l’assurance de cette égalité et les toutes les possibilités d’y parvenir. Je n’ai pas utilisé le mot de « chances » (« égalité des chances ») car nul ne conquiert cette égalité dans une pochette surprise, mais par la conviction qu’il acquiert que rien n’est écrit, ni déterminé par le statut social, le nom ou le lieu de naissance, mais que ces possibilités dépendent de sa liberté de vouloir les saisir, les meilleurs outils pour cela étant l’instruction et le travail. Non le capital, non une rente ou un revenu qui soient le fait de la providence ou de la naissance.

A cela s’ajoute, pour ceux qui ont une responsabilité, au nom des valeurs précitées, une exigence de vérité. Que faisait Mendès-France lors de ses « conversations au coin du feu » : il disait au peuple, d’une manière incroyablement simple, le possible. La politique évolue aujourd’hui tout au contraire. Je réclamais dans un billet une « evidence based policy », une politique basée sur des faits avérés, démontrés, le démenti de la réalité ne s’est pas fait attendre : nous entrons dans une « société post-factuelle », ou plutôt on cherche à nous y faire entrer. Je n’y donnerai jamais la main.

Le possible n’exclut pas le désirable. Et par exemple, mon « désirable » est fondamentalement soucieux de l’environnement et de la santé des hommes, deux données qui se confondent. Mon désirable est que chacun puisse trouver et même choisir sa place dans la société, celle qui lui permettra de vivre au meilleur de lui-même. Mon désirable n’est pas de faire de la réduction du travail un avenir, ni une ambition. Je ne crois pas -si du moins nous le voulons- à une raréfaction du travail réduisant le tiers de l’humanité à une assistance médiocre : nous serons bientôt 9 milliards : y aura-t-il moins besoin de médecins pour les soigner, de soignants pour s’occuper d’eux, d’artisans pour construire leur maison, d’enseignants pour instruire leurs enfants, de chercheurs, d’artistes … ?

Je voterai Valls avec ce regret dans mon coeur que ce débat fondamental sur l’égalité des êtres humains et leur liberté à   s’émanciper de leur destin ait été réduit pour la grande majorité des Français à 3 débats télévisés et aux échos médiatiques qui les ont accompagné. Je vote pour un socialisme qu’aucun vote ne pourra faire exploser et dont l’exigence sera rendu chaque jour plus nécessaire par l’accroissement et le bouleversement géographique de la population mondiale.

 

 

 

Juppé : bonnes paroles et ordonnances

J’espère que la triple page du journal Sud-ouest consacrée à Alain Juppé le 15 mai sera l’objet d’une lecture de texte à sciences-po. Elle est un exemple peu égalé du langage politique et de la raison pour laquelle les Français perdent confiance.

Premier exemple : Alain Juppé supprimera(it) 250 000 emplois dans la fonction publique. Le journaliste ne relève pas le lien discutable avec la baisse du chômage mais il l’interroge clairement « Dans quelles administrations supprimerez-vous ces postes ». Réponse : « Il faut les maintenir dans l’éducation, la police, l’armée, la magistrature« . Voilà une réponse qui amène un certain consensus mais qui va à l’inverse de la question posée. Le lecteur est obligé de faire l’effort de la réflexion : quelles sont les administrations, hors ces quatre-là,  qui sont alors exposées ? La santé en tout premier lieu qui est aujourd’hui à la limite des efforts possibles, le secteur social (RSA, handicap, grand âge, allocations chômages), les collectivités territoriales telles que celles que dirige actuellement le Maire de Bordeaux (et où il n’arrête de dénoncer la baisse des subventions de l’Etat), la recherche… Si  Alain Juppé avait répondu à la question autrement qu’a contrario, il aurait sûrement rallié assez peu d’approbation. Notre modèle social, avec 100 milliards d’économies comme il le propose, et la suppression de 250 000 postes, sera totalement explosé. Merci qui ?

Autre question « Pourriez vous associer la gauche à votre quinquennat ? ». La réponse mérite une fois encore le grand prix de l’esquive : « Je défendrai un projet et un discours de rassemblement« (suit un bla-bla sur la situation en 2002..). L’exemple précédemment donné montre que le projet ne rassemblera qu’une droite bien de droite. Quant au discours, imaginez-vous un candidat qui répondrait « Je défendrai un discours de division » ? ..

Nouvel exemple : « Mes propositions sur l’économie sont toutes très bien accueillies. Sauf une, (la suppression de) l’impôt sur la fortune ». Alors là, cher Alain Juppé, il faut voir du monde : de tous ceux qui ont réussi à décrypter votre langage subliminal, je n’en ai pas rencontré un qui approuve ces propositions. Mais quelques-uns  se sont laissés piéger par votre manière de dire sans dire, ou par la lénifiance du titre de Sud-ouest: « L‘injustice sociale, c’est le chômage » avec lequel on ne peut qu’être d’accord ; mais à cette injustice sociale cardinale, répondrez-vous par une élévation des allocations chômage ? Eh bien, pour ma part, je prends le pari : comme vous voulez baisser les charges sur les entreprises et faire 100 milliards d’économies, vous les baisserez et/ou vous les écourterez. Fromage et dessert pour les chômeurs et, en prime -je parie encore-, une moindre prise en charge de leur santé. « Si on explique, on peut réformer » dites-vous. Seulement voilà, vous vous gardez bien d’expliquer.

J’ai gardé le meilleur pour la fin : toutes ces bonnes nouvelles qu’il nous cache à demi, il les fera passer dans les six premiers mois par ordonnance. Une « ordonnance » dit comme ça, ça n’a pas l’air méchant, c’est même ce qu’un médecin vous remet dans le but de vous guérir. En politique, c’est un poiluchon plus brutal : c’est légiférer sans vote du Parlement. Celui-ci n’est consulté qu’une fois pour habiliter le pouvoir exécutif à agir sans son intervention pendant un temps limité, mais pour autant de mesures qu’il en décide. Une sorte de 49 -3 en salves mais sans motion de censure, c’est à dire sans engager la responsabilité du gouvernement. En un mot, retraite à 65 ans, coupes sur la dépense publique, suppression de 250 000 postes de fonctionnaires, réduction prévisible du budget de la sécurité sociale, suppression de l’ISF, baisse de la fiscalité des (seules) entreprises, régime général de retraites pour les fonctionnaires… Tout cela mis en place dans les six premiers mois…

Un été meurtrier, en face duquel il ne restera(it) que la rue.

 

Juppé en direct

Sa place est très réduite parmi les 3240 billets de ce blog. Mais aujourd’hui Alain Juppé peut être amené à conduire la destinée de notre pays et il est important de l’écouter et de s’exprimer soi-même sur ses paroles. Peu l’osent. Nombreux sont ceux aujourd’hui qui se disent « s’il devient Président, il pourra faire quelque chose pour moi  (ma fille, ma cousine, mon asso, mon job, mon entreprise..) » . Pas rares non plus ceux qui se voient ministres d’ « ouverture » ou caution de sa politique de nominations dans l’une ou l’autre fonction. Tout cela, si ce n’est pas véniel, est usuel vis-à-vis de toutes les formes de pouvoir.

Aujourd’hui sur canal+, dans l’émission « le supplément », mes cheveux se sont pourtant dressés à plusieurs reprises sur ma tête. Non pas par le vide de nombre de ses déclarations, celui-ci lui est coutumier. Un seul exemple : l’accueil des réfugiés. « Oui, au droit d’asile mais non à l’ouverture de nos frontières, l’accueil doit être équilibré ». Outre que nos frontières sont ouvertes, que doit-on penser d’un « accueil équilibré » ? Rien, justement, absolument rien. Si vous voulez juger de la vacuité et de l’inutilité d’une phrase politique, renversez-là. Qui aurait l’idée de dire « je suis en faveur d’un accueil déséquilibré » ? Un journaliste faisant pleinement son job, aurait demandé : « Monsieur Juppé, pour vous, un accueil équilibré c’est combien de réfugiés accueillis, relativement à notre population de 66 millions ? ». Ces questions concrètes son rarement posées.

La seule ébauche d’un soupçon de déclaration concrète a été la suivante : « je veux zéro charge* sur le SMIC pour développer l’emploi peu qualifié »; ceci, présenté comme une mesure durable et non transitoire. Point n’est besoin d’avoir fait sciences po pour voir comme une évidence la conséquence immédiate : aucune progression de salaire pour les smicards, tous seront soit scotchés là où ils sont, soit embauchés au SMIC même si leur qualification leur permet d’espérer davantage. Même les porte-parole de Juppé, officiels ou officieux, n’ont pas osé relayer cette annonce dans les médias sociaux.

Attendons avec impatience le programme économique du candidat qui fera l’objet d’un petit livre que personne ne lira sauf  les journalistes. Celui-ci pourtant sera décisif et l’on pourra juger le candidat non sur ses actes mais sur au moins ses promesses.

Plus vénielle si ce n’est pour la crédibilité de la parole politique, sa charge envers Emmanuel Macron : « Quand on est Ministre de l’Economie, on fait son job à 100% ». Et quand on est Maire de la 6ème ville de France, on fait quoi ? »

Quand on a été deux ans Premier Ministre, puis Ministre de la Défense et Ministre des affaires étrangères pendant 18 mois, que l’on est maintenant depuis bientôt un an candidat aux primaires LR tout en restant Maire de Bordeaux, de qui se moque-t-on ?

J’aime la politique et je crois en son honneur. J’aime mon pays et je crois en son avenir. Ce sont sans doute les raisons de ce billet.

 

*NB il existe d’ores et déjà une réduction sur les cotisations sociales jusqu’à 1,6 fois le SMIC. Oubli ou radicalisation, avec les risques énoncés, de la part d’AJ ?

 

 

 

« Bref, tout passera par l’innovation » (« Il faut aimer la politique XII »)

Une fois n’est pas coutume, j’emprunte à Alain Juppé, le titre de ce 12 ième épisode d’ « Il faut aimer la politique ». On l’a vu, ce feuilleton d’un amour (brièvement) contrarié va par « sauts et gambades », selon l’actualité et selon les réactions qu’il suscite. C’est l’absence de toute règle du jeu que je me suis fixée en entamant la série.

Tout passera donc par l’innovation  : voilà au moins une certitude que nous partageons. A monde nouveau, idées neuves et mots nouveaux. Un monde où le poids relatif des continents aura basculé, où les 50 millions de réfugiés que nous connaissons aujourd’hui s’augmenteront des réfugiés climatiques, où un milliard d’humains aura plus de 60 ans et où les vieux vivront autant que les nouveaux-nés en 1850. Un monde où… Tout ce que nous ne savons pas encore et dont seul l’indéracinable instinct de survie des humains nous protège peut-être.

La vitesse des changements, des acquisitions comme sans doute des pertes, s’accélère continument. Les innovations ne sont plus des transformations mais des ruptures (le numérique par exemple), envoyant à la casse des milliards d’objets. Mais qu’en est-il des raisonnements, des idées, des conceptions avec lesquelles nous nous débrouillons du réel ?

La politique n’est pas loin. Le texte où Alain Juppé déclare sa candidature pourrait être écrit à n’importe laquelle des décennies précédentes par n’importe quel candidat de droite, de gauche ou du milieu, appelant au rassemblement, à la confiance, à l’effort, au nouvel élan, à la prise en compte d’enjeux nouveaux…

Ce n’est pas une critique : nous (la gauche) sommes capables de faire bien pire. Juppé est normalien, a écrit le texte lui-même (même sa « tentation de Venise » est du même ton), quoique prenant conseil afin de s’assurer que tous les mots-clefs soient bien cochés : le texte est parfait. Sauf… que personne n’en retient rien, si ce n’est une impression de confort rassurant ; si ce texte avait été exprimé oralement, chacun aurait depuis son début vaqué à ses occupations.

Le moment n’était pas non plus à ce qu’Alain Juppé esquisse un programme. Tout cela est évidence. Et pourtant, en le lisant, et même en le relisant, je me suis interrogée : où est l’innovation, où est le mot ou l’idée nouvelle, où est la flamme indispensable au regard des difficultés qui attendent un Président putatif, dans ce texte convenu ?

Il ne peut y avoir nouvelles idées sans nouveaux mots. J’ai la certitude que l’un va avec l’autre. Boileau le disait déjà : « Ce qui se conçoit bien… ». Celui qui porte une idée en lui la voit progressivement se construire, s’affiner, s’inscrire dans le possible, et le mot vient au bout de cette maturation.

Reconnaissons-le : ce peut-être l’inverse. Un mot vient et éclaire un magma de réflexions qui ne trouvaient pas leur ligne directrice. C’est comme une lumière qui s’allume.

Dans le texte de Juppé (comme dans tant d’autres), nul mot, nulle expression, nulle phrase qui fasse lever les oreilles et se dire intérieurement: « Oui, c’est ça, c’est ça dont nous avons besoin ».

Or la politique, l’avenir de la politique, est à ce prix. Eclairer, donner corps à ce que nous cherchons confusément. Poser le doigt sur les enjeux informulés qui nous préoccupent (dont fait partie la transition démographique et ses trois dimensions : individuelle, sociale et sociétale). Pouvoir se dire, comme quelquefois en lisant un écrivain: « Oui, c’est ça, ça exactement ».

Notre société inquiète, souffrant de la souffrance des autres (ces milliers de morts, partout, le retour de la barbarie..), alourdie de ses difficultés propres, cherche -non pas La Lumière, elle est d’un autre ordre- mais des lumières, des paroles, des gestes qui, à mille lieux de tout « communicant », nous montre qu’un homme est habité de la fonction à laquelle il prétend, fût-elle infiniment plus modeste que celle de chef d’un Etat plus que millénaire.

Il faut en effet beaucoup aimer la politique, car à cela, seuls beaucoup de souffrance, d’interrogation et de doute permettent d’arriver.

 

Suivi et Infogérance par Axeinformatique/Freepixel