Explication d’un vote
« Attentiste », dit de moi notre cher « tire bouchon », qui est la rubrique humour de notre quotidien Sud Ouest. A qui me l’a demandé (cette semaine le journal « le Monde »), j’ai exprimé sans réserve que je voterais Manuel Valls. Il est vrai, au contraire, que je n’ai pas fait campagne pour l’un ou l’autre candidat. La raison est simple : le débat qui aujourd’hui nous divise aurait dû être tranché par les militants du Parti Socialiste, au sein de ce que l’on appelle un « congrès », mot qui n’est pas sorti grandi, avouons-le, du congrès de Reims. Mais c’est une autre histoire.
Pourquoi ? Fondamentalement, parce qu’il me semble que ce qui nous sépare aujourd’hui d’une droite dure et a fortiori de l’extrême droite, suffit à nos efforts : je déteste l’idée même de nous battre entre nous. De la même manière, que je n’ai jamais accepté de débattre sur quelque média que ce soit avec un socialiste, c’est pour moi un crève-coeur de mettre sur la place publique ce que je ne partage pas avec les uns ou les autres d’entre eux. Le débat profond qui a été entamé lors de ces primaires devait, d’abord, avoir lieu avec ceux qui se réclament de l’histoire, des valeurs, des actions que ce mot de « socialiste » contient.
C’est d’abord la notion d’égalité, fil rouge indiscuté de tout ce qu’a écrit Jean Jaurès, et la volonté de donner à chacun l’assurance de cette égalité et les toutes les possibilités d’y parvenir. Je n’ai pas utilisé le mot de « chances » (« égalité des chances ») car nul ne conquiert cette égalité dans une pochette surprise, mais par la conviction qu’il acquiert que rien n’est écrit, ni déterminé par le statut social, le nom ou le lieu de naissance, mais que ces possibilités dépendent de sa liberté de vouloir les saisir, les meilleurs outils pour cela étant l’instruction et le travail. Non le capital, non une rente ou un revenu qui soient le fait de la providence ou de la naissance.
A cela s’ajoute, pour ceux qui ont une responsabilité, au nom des valeurs précitées, une exigence de vérité. Que faisait Mendès-France lors de ses « conversations au coin du feu » : il disait au peuple, d’une manière incroyablement simple, le possible. La politique évolue aujourd’hui tout au contraire. Je réclamais dans un billet une « evidence based policy », une politique basée sur des faits avérés, démontrés, le démenti de la réalité ne s’est pas fait attendre : nous entrons dans une « société post-factuelle », ou plutôt on cherche à nous y faire entrer. Je n’y donnerai jamais la main.
Le possible n’exclut pas le désirable. Et par exemple, mon « désirable » est fondamentalement soucieux de l’environnement et de la santé des hommes, deux données qui se confondent. Mon désirable est que chacun puisse trouver et même choisir sa place dans la société, celle qui lui permettra de vivre au meilleur de lui-même. Mon désirable n’est pas de faire de la réduction du travail un avenir, ni une ambition. Je ne crois pas -si du moins nous le voulons- à une raréfaction du travail réduisant le tiers de l’humanité à une assistance médiocre : nous serons bientôt 9 milliards : y aura-t-il moins besoin de médecins pour les soigner, de soignants pour s’occuper d’eux, d’artisans pour construire leur maison, d’enseignants pour instruire leurs enfants, de chercheurs, d’artistes … ?
Je voterai Valls avec ce regret dans mon coeur que ce débat fondamental sur l’égalité des êtres humains et leur liberté à s’émanciper de leur destin ait été réduit pour la grande majorité des Français à 3 débats télévisés et aux échos médiatiques qui les ont accompagné. Je vote pour un socialisme qu’aucun vote ne pourra faire exploser et dont l’exigence sera rendu chaque jour plus nécessaire par l’accroissement et le bouleversement géographique de la population mondiale.