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Hossegor, 5 aout

Le vent, ici, paraît traverser les murs. Jamais, il ne consent tout à fait à se taire, jamais il ne laisse une quelconque canicule s’installer et paralyser le mouvement permanent de la mer, l’impression d’agitation existentielle que donnent les bords de côtes. On ne vient pas dans cette maison pour trouver la paix ou l’oubli, mais pour mettre le brouhaha de l’intérieur des terres en perspective de mouvement permanent, inchangé depuis des siècles et sans doute des millénaires.

Il y a 14 ans mon père mourait à Bordeaux dans une chaleur étouffante et dans une ville déserte où organiser des obsèques paraissait un défi à la bienséance qui fait que l’on dérange plus facilement l’activité que les sacro-saintes vacances françaises. J’étais en face de lui pour le dernier hoquet qui souleva sa poitrine, à tout jamais condamnée à l’immobilité . Dans un de ses livres, il avait écrit désirer mourir en novembre, mois qu’il n’aimait, sans doute dans la vague idée que quitter le monde est moins désagréable ou plus facile quand, lui, le paraît et ne donne pas envie de s’attarder davantage. J’avoue n’avoir eu jamais de ces préférences. La mort, que j’ai si souvent accompagnée me paraît, où que ce soit et à quelque moment qu’elle survienne, incompréhensible, brutale, irrationnelle, inévitable et pourtant inconcevable. Même écrire à son sujet a quelque chose d’hypocrite, comme si nous voulions nous en prémunir ou la chasser. Mais rien, ni vaccin, ni réflexion, ni lecture, ni œuvre d’art, qui puisse nous mithridatiser et moins encore nous familiariser à ce trou béant qui avance vers nous et demeure invisible.

 

 

Les verres polis

Parmi les trésors très exclusifs d’Hossegor, les morceaux de verre polis, mélés sur la plage au laisses de mer. Epousant toute la gamme des couleurs de l’eau, du blanc opalin à toutes les couleurs du vert, du plus pâle à l’émeraude, du kaki au brun, ils pourraient y être nés. Mais non, il y ont seulement été transformés en minuscules galets qu’une élite très select d’Hossegorois de souche traque dès la première heure du jour, le nez baissé, scrutant le sable.

Ils ne sont présents que dans les plates bandes de grave que la mer dépose sur le sable, plus ou moins hautes, près des dunes ou en bordure de vague, plus ou moins nombreuses suivant la force des courants et des fonds. Plus foncées que le sable fin, elles se repèrent aisément et laissent entre elles le temps au promeneur, de regarder les jeux de la mer, de se laisser tenter par l’horizon où des silhouettes de bateaux croisent régulièrement (en ce moment précis un tanker) ou les jeux des nuages s’amusant à pervertir le grand bleu.

De précieux, les verres polis sont devenus rarissimes et s’ils entraient comme ils devraient dans le cac 40, ils ne décrocheraient pas de la plus haute place. Je ne sais s’il faut dire « hélas », car les promenades sont devenues peu fructueuses (5 ce matin, plus petits que l’ongle du petit doigt), ou au contraire s’en réjouir car je dispose d’un capital assez large, acquis en des années et des années de marche avertie.

Certains sont disposés sur de petits plateaux de verre rectangulaires, les blancs en bordure, les verts plus ou moins bleutés en large rayures comme ils le font à la surface de la mer. Le plus grand des plateaux accueille aussi une baleine de caoutchouc brun d’une dizaine de centimètres, ramenée elle aussi d’une marche d’après tempete ou semblable jouet d’enfant se trouve souvent mêlé à des lunettes sans verres ou sans branches, un ou deux poissons morts et des bois qui paraissent eux aussi polis, usés, momifiés par de longs séjours dans les fonds.

Cette baleine n’est pas innocente. Echouée sur mon rivage comme la baleine d’une des plus belles nouvelles que j’ai jamais lues, elle parle de tous ceux qui sont passés à côté d’elle sans la voir, qui n’y ont vu qu’un déchet destiné à périr, s’étonnant à peine qu’un tel animal soit arrivé sur le rivage ; jusqu’à ce qu’un jeune couple lui fasse visite plusieurs fois par jour, s’émeuvent de la voir là, colosse déchu, s’en questionnent, cherchant ce qu’elle venait faire là (exactement comme le tigre dont Hemingway a immortalisé la trace à deux pas du sommet du Kilimandjaro), et en venant à se demander pourquoi eux, aujourd’hui comprenaient obscurément qu’il y avait là quelque chose d’extraordinaire et que c’était à eux que ce signe était fait.

Ma baleine raconte tout cela et je redoute d’autant plus qu’un enfant en visite au Rayon Vert la prenne pour un simple jouet, un jouet édité par millier et n’ayant l’air d’une baleine que par pur hasard alors que sais, depuis l’instant où je l’ai trouvée, qu’il n’en est rien, qu’aucune baleine ne croise vos pas sur le rivage sans qu’il y ait là-dedans quelque signe.

Paul Gadenne, qui me l’a appris, avait raison et je voulais seulement parler de lui. Juste ici, précisément ici, à Hossegor. Il est mort tout près dans ce qui était alors les « Basses Pyrénées », quand j’y habitais aussi. Pauvre, connu alors de si peu et pourtant un des plus grands pour saisir les histoires merveilleuses que racontent les rivages et les hautes montagnes.

 

 

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