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Ballottage à risque pour les élus locaux

L’intervention du Président de la République à la Conférence Nationale des Territoires, mais plus encore ses décisions, suscitent bien des interrogations. J’en évoquerai principalement une, explicitée par le Ministre en charge de la cohésion des territoires, l’ex-sénateur radical Jacques Mézard : l’acte I de la réduction des élus locaux devrait frapper en tout premier les élus municipaux.

La première de ces interrogations : est-ce là que l’on trouvera des économies significatives ? La réponse est : non. S’ils sont nombreux, leurs indemnités sont modestes à très modestes (voire absentes), surtout au regard du temps passé, bien souvent du travail effectué et plus encore du symbole de l’investissement des citoyens dans la gouvernance locale et à l’intérêt collectif.

Et l’on en vient à la seconde interrogation : pour quel bénéfice, si celui n’est pas financier ? Si l’on interroge les Français, prompts à la défiance envers l’ensemble des élus, ce sont les élus locaux qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Peu soupçonnés d’avidité, pas davantage d’une recherche inconsidérée de la gloire, leur action de terrain leur vaut estime et soutien. Tel s’est battu des années pour bâtir un EHPAD dans sa commune, sachant que sans cela, le pharmacien, voire le médecin, quitterait la place et que les grands âgés seraient beaucoup plus rarement visités s’ils résidaient à plusieurs dizaines de kilometres. Tel autre a obtenu un terrain de sport, un troisième une desserte d’autobus ou s’est battu pour le maintien de la poste. Même s’ils n’appartiennent pas au même parti, ces élus -souvent des retraités- sont des défenseurs de leur territoire et sont fiers de le représenter et de participer, même tant soit peu, à sa renommée.

Sabrer dans ces bataillons de fantassins améliorera-t-il la situation de la France et plus encore la cohésion , les initiatives, la fierté, l’identité de nos territoires ruraux ? Rapprochera-t-il les zones rurales, qui se sentent « décrochées des zones urbaines ? Je fais plus qu’en douter.

De la même manière, l’excessive réduction du nombre de députés, envisagée à court terme, risque de développer  l’impression de compter pour bien peu de ces mêmes territoires ruraux. Si un député peut représenter l’ensemble d’une ville, c’est à dire étendre son territoire en pouvant cependant le parcourir aisément, la députée d’un territoire comme le Médoc, qui doit parcourir des kilometres chaque jour pour se rendre dans ses multiples communes, ne peut pas élargir son périmètre sans y perdre beaucoup de représentativité et de possibilités d’action locale.

Alors supprimer 200 députés (et non 50 à 100), quitte à leur donner plus de moyens, est-ce raisonnable ?

Il parait évident qu’à plus long terme le Président pense à la suppression du Conseil Départemental ou pour le moins à la réduction de son périmètre d’action par l’exclusion des métropoles, comme c’est déjà le cas à Lyon. Le précédent de Manuel Valls qui avait annoncé en prenant ses fonctions de Premier Ministre, la suppression pure et simple des  Conseils généraux (c’était alors leur nom) pour rétrograder peu après, a certainement refroidi l’ardeur du Président Macron, mais le dossier s’il est momentanément rangé n’est sans doute pas oublié.

Victor Hugo qualifiait Bonaparte de « jeune Général qui a besoin d’une victoire ». Macron tient cette victoire, mais c’est après que les difficultés empirent.

 

 

 

Ma médecine

Nommée Ministre, je me suis promise d’éxercer cette honorable fonction en Médecin, ce que j’ai été pendant 45 années. Qu’on se rassure : je n’ai pas exercé la médecine en Ministre, je n’avais qu’une vague idée de ce que cela pouvait être, loin en tout cas de la pratique particulière de mon Ministère et surtout, je n’avais ni le moindre plan, ni la plus petite hypothèse qui me laisse augurer de l’être un jour.

Être Ministre comme on est médecin, j’imagine que l’on devine un peu ce que cela signifie. Je ne voudrais pas utiliser un vocabulaire archi-rebattu, mais c’est mettre les gens avant ce qui les entoure. C’est aussi mener une équipe (les membres de mon cabinet), comme une équipe hospitalière et cela veut dire beaucoup. Mon équipe en effet n’a pas changé depuis sa composition, il me semble qu’elle va bien compte tenu du contexte difficile qui est le nôtre. C’est une équipe jeune -comme le sont les équipes hospitalières où infirmières, externes, internes ont majoritairement moins de 30 ans-,  qui sait pourquoi et surtout pour qui elle travaille, une équipe engagée et talentueuse, qui sait être joyeuse et aussi râler juste ce qu’il faut. La « dream team » m’a dit vendredi dernier un visiteur auquel elle avait été présentée. Je lui laisse la responsabilité du compliment. Il n’est pour autant pas totalement infondé.

C’est donc à la médecine que je pense souvent. Je réfléchissais aujourd’hui aux 45 années qui furent les miennes. Pas une heure, ni dans mes études, ni dans la pratique, n’a jamais été consacrée à l’aspect régional, territorial, de notre éxercice. Quelles sont les spécificités de l’état de santé des Aquitains, comment marche le maillage territorial à la fois médical et médico-social ? Quelle collaboration entre ces deux champs ? Quelle relation aux collectivités territoriales? Quel agencement des professionnels entre eux ? Bref, de cela qui m’occupe beaucoup aujourd’hui, je n’ai jamais entendu parler en tant que médecin.

Dans chacune de mes visites de terrain, vendredi dernier en Bretagne, la précédente en pays nantais, la précédente encore à Montpellier et juste avant dans le Nord,  je suis frappée des spécificités de chaque territoire. Profil pathologique différent, inégalités de santé autrement distribuées, engagement variable des collectivités, coopérations plus ou moins anciennes et plus ou moins vivaces.. Bref, Lille n’est pas Lyon, Guincamp a bâti un tissu de solidarités qui lui est spécifique, la pauvreté n’est pas le même dans le Pas-de-Calais que dans l’Hérault… Ce n’est sans doute pas un scoop, mais après un certain nombre de déplacements, on découvre comme une évidence l’urgence de la territorialisation de nos pratiques de la santé social, ce couple indissociable dont les Etats-Unis ont fait des chaires universitaires et qui se bâtit chaque jour sur le terrain. Le « mariage pour tous » n’est pas que celui contre lequel on défile aujourd’hui même, mais celui des Conseils généraux avec les Agences Régionales de Santé (ARS), des aides à domicile avec les services infirmiers, et des gériatres avec les démographes.

Ce mariage-là, différemment conjugué dans chaque territoire, reste encore à élargir. On ne doit plus soigner, prévenir, accompagner, aujourd’hui comme hier. La formule d’un de mes coéquipiers au Cabinet doit inspirer jusqu’au projet de loi que je prépare : l’intelligence du terrain.

Pas facile dans une loi, par essence normative, de partir du terrain pour bâtir de meilleures pratiques. Le risque est de rajouter une couche là où il y en déjà plusieurs, fondamentalement diverses et spécifiques du territoire. Dali avait inventé des montres molles, ce qui laissait entendre que l’on pouvait négocier avec l’implacable métronome du temps, il nous faut inventer une loi « intelligente » (« smart ») qui puisse se gorger des pratiques du terrain sans se dénaturer.

De tout cela, pendant ces 45 années, je n’ai jamais entendu parler. La pratique des dix dernières années l’a peu ou prou suscité puisque nous avons travaillé en faisant une place plus grande à l’ambulatoire et en déléguant davantage aux acteurs de terrain, grâce par exemple à l’hôpital à domicile. Ma spécialité (cancérologie), je le reconnais, invite davantage à la centralisation hospitalière qu’à la pratique locale. En langage ministre, elle peut même être qualifiée de « régalienne », mais sa déclinaison pratique, une fois les traitements décidés est pour autant elle aussi territoriale et fait appel aux complémentarités et aux solidarités locales.

C’est très étrange, je n’avais jamais pensé à cela comme un tout. Cet après-midi, dans le silence joyeux de mon jardin, cela m’est apparu comme une évidence.

 

 

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