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Le siècle dernier a consacré trois temps de la vie : éducation-formation, profession, retraite, qui sonnent comme les trois actes d’une tragédie classique. La vie, ce fil supposé continu, était ainsi divisée en trois parts de durée relativement proches et ceci dans le cours d’une vie dont la durée moyenne était alors de 70 ans.

Seulement voilà : l’espérance de vie à l’âge de 65 ans est aujourd’hui en France de 19,5 ans pour les hommes et 24,4 pour les femmes ;  le temps d’études quant à lui est  fréquemment  prolongé jusqu’à 25 ans ou plus, et le temps de retraite atteint près de 30 ans. En 1945, rappelons-le, l’âge légal de la retraite à été obtenu comme une formidable avancée alors que l’espérance de vie moyenne des femmes était justement de 65 ans, et celle des hommes de… 60 ans.

A tout cela s’ajoute une grande variété de situations. Les « carrières longues », débutant avant la majorité, sont moins fréquentes aujourd’hui, mais elles perdurent cependant alors que la vie professionnelle d’un médecin spécialiste peut ne commencer qu’à 30 ans ; la recherche d’un emploi repousse souvent l’entrée dans la vie active ;  la retraite, elle, demeure plus longue qu’elle ne l’a jamais été. Même en retardant l’âge légal de départ, l’espérance de vie à la retraite continue d’augmenter et, par ailleurs, de nombreuses professions permettent de continuer à travailler bien au delà de 62 ans.

Longévité, hétérogénéité des situations, ce morcellement en 3 temps radicalement distincts n’a plus vraiment de sens et n’est plus soutenable. Une vision toute différente s’impose au contraire. L’ « activité » apparait alors comme un élément majeur du fil continu de la vie. Durant la formation, on est à la fois actif et présent à la société, ce dernier point ne faisant que s’accentuer par l’immersion précoce des jeunes dans l’information, les médias, la vie collective, qui les fait rapidement dépasser les limites de la vie familiale. Durant la vie professionnelle, l’activité « productive » s’intensifie et les changements d’activité sont de plus en plus nombreux et les coupures momentanées fréquentes. Dans tous les cas, le temps de retraite « en bonne santé » s’allonge : peut-on alors continuer de la concevoir comme une porte qui se ferme, impose le « retrait » et soit synonyme du seul repos ?

Je n’évoquerai pas ici les raisons économiques de cette impossibilité : les seuls « actifs » (personnes dans l’emploi) ne peuvent, et surtout ne pourront, porter la charge des deux autres temps de la vie dont les participants sont supposés inactifs. Mais surtout, cette fracture, est génératrice de mal être, de sentiment d’inutilité et de restriction des liens sociaux.

J’ai longtemps cherché comment qualifier l’activité souhaitable à la fin de la vie professionnelle classique. Il ne s’agit pas obligatoirement de « travailler » mais cela n’exclut pas non plus de travailler moins ou autrement, ou encore de commencer un activité nouvelle. L’enjeu est bien de demeurer actif, utile, de conserver un maximum de liens sociaux et, au sein d’entre eux, de conserver une identité positive. Un groupe d’économistes au sein de la Chaire de transition démographique, vient de proposer le terme d’ « activité socialisée » qui, à la fois, relie les trois périodes de la vie, et contribue à tisser ce fil continu tellement plus rassurant que le contingentement et l’assignation à un groupe. Actif, je suis, actif, je demeure et cette activité demeure ma meilleure monnaie d’échange et de partage avec les autres, pérennise mon identité ou la renouvelle, sans que celle-ci ait obligatoirement besoin de se confondre avec un emploi ou un salaire.

Pour dire les choses simplement, je ne me perçois pas comme cochant la case « retraitée ». Ce peu d’enthousiasme pour le mot et la chose m’a valu il y a peu d’années un différend (cordial)  avec une « retraitée » qui revendiquait son état au sein d’un syndicat et trouvait que j’étais trop réticente à utiliser le terme, ce qui était vrai. La concernant, je ne la vivais pas comme « retraitée » mais comme « syndicaliste ».

Je ne sais si cet exemple suffit à illustrer ce que j’ai voulu exprimer. Alors prenons-en vaillamment un autre : Descartes. Cet excellent homme me parait s’être arrêté en chemin avec son « Je pense, donc je suis » et je me permets de corriger la citation qui a fait transpirer tant de candidats au bac philo : « Je pense, je fais et donc, je suis ».

Descartes d’ailleurs m’a donné raison avant l’heure : il pensait bien sûr, mais il écrivait qu’il pensait. Et ce n’est pas le fil le moins solide dans une vie.

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