L’attestation
C’est à 4 h du matin, que Joseph K se réveilla. Il ne savait jamais si, à cette heure, c’était la porte de l’immeuble qui le réveillait ou si ce bruit, finalement assez banal, ressemblant justement à une porte que l’on ferme violemment, venait du profond de lui-même , et le sommait toujours à même heure d’en finir avec cet étrange inconscience qu’on appelle le sommeil.
Il se levait aussitôt, demi-funambule, mais avec l’impression que son cerveau obéissait à une urgence, à une injonction du monde extérieur. La lumière allumée, son regard rencontra aussitôt une feuille imprimée, à l’entête de l’administration du Château. La feuille était remplie sur ses deux faces de lignes bien ordonnées, groupées en paragraphes régulièrement espacés, et cet ordre parfait, cette composition presque militaire, accentuait l’évidence qu’il s’agissait d’un document important qu’il n’était pas question d’ignorer et donc chaque point devait être élucidé et appliqué dès que le jour poindrait.
Joseph K prit la feuille et l’étendit sur sa table en la lissant du rebord de la main, afin qu’aucune ligne ne pût échapper à sa compréhension et à son application rigoureuse.
Il s’agissait des jours et horaires de sorties des citoyens de la ville. Ville importante et le texte commençait par le rappel des obligations que chacun des habitants devait avoir présent à l’esprit et de la reconnaissance qu’il devait éprouver du soin que les autorités du Château prenaient de lui.
Un deuxième paragraphe appelait donc à sa responsabilité : il faisait partie d’une communauté et devait en mesurer la chance comme les devoirs.
Le premier de ces devoirs était de respecter les jours et heures de sortie prévues par l’administration générale. La période n’était pas ordinaire, le choix de l’Administré devait être parfaitement noté dans les lignes laissées libres à cet effet et l’attestation conservée en permanence sur soi.
Du fait de la magnanimité du Grand Administrateur les possibilités de sortir de son domicile et de s’aérer une heure par jour connaissaient des options et des variantes. Il s’agissait de s’adonner à une marche à caractère individuel et dont le parcours était libre à condition de le préciser sur l’attestation. Une exemption à ce caractère individuel était concédée en cas de possession d’un animal domestique tenu en laisse. En cas de nécessité impérative d’une double sortie, celle-ci devait être contenue entre 8 et 10 heures dans la matinée et 18 et 20 heures dans la soirée.
Joseph K n’avait pas d’animal familier qu’il pût tenir en laisse. Cette situation était envisagée en annexe et l’administré pouvait contacter le service adéquat dont le numéro de téléphone lui était donné, en précisant toutefois qu’une demande écrite précisant l’espèce et les particularités de l’animal ait été envoyée à ce même service de manière à s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’espèces dangereuses, de taille trop réduite ou au contraire trop importantes.
Le deuxième volet de l’attestation concernait les activités habituelles de l’Administré et celles qu’il considérait comme essentielles. Douze cases étaient prévues à cet effet, dont on ne pouvait cocher que trois. C’est ainsi dans un profond désarroi que Joseph K découvrit qu’il pouvait à sa guise s’alimenter, se soigner, se vêtir, acheter des livres ou autres objets à vocation culturelle, couper ses cheveux, porter ses vêtements à la teinturerie, ce à quoi il n’avait jusqu’alors pas réfléchi. Il retourna s’asseoir sur le bord de son lit, envisagea tous ces possibles comme s’il les découvrait et leur trouva quelque chose d’inutile et d’absurde, comme l’était l’impérieuse obligation de choisir.
A ce moment précis, survint un claquement de porte, plus fort et plus violent qu’à l’ordinaire et il comprit : l’accès au Château lui était définitivement fermé.
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