L’injonction de soins
Du jardinage -presque de l’agriculture, tellement mes efforts sont largement dispensés- au blog. Je m’approche du petit clavier fourbue et terrue comme au retour du binage des pommes de terre. « Terrue » n’existe pas, mais il me parait parfaitement appropriée à la situation. Les mots ainsi formés (chenu, ventru..) sont des mots plein de réalisme, légérement mais amicalement dépréciatifs. Terrue me parait digne d’accéder aux dictionnaires, pour le moins au dictionnaire des mots du jardin.
Il n’est en tout cas pas du tout le sujet de ce billet, comme le titre l’indique. En exposant les trois piliers de la loi de lutte contre la récidive (voir billet du 17 juillet), présentée à l’Assemblée par Rachida Dati, je m’étais réservée de parler plus tard du troisième, tant il est complexe et problématique. Ce troisième point, c’est l’ injonction de soins : en cas de faute grave, si un expert déclare que le prévenu est atteint de « troubles », la loi impose automatiquement de le soigner. Le juge peut, s’il motive sa décision, écarter cette disposition, mais relativement à l’état précédent, la règle est inversée. C’était, précédemment, le juge qui décidait si l’expertise devait amener au soin et non s’il ne devait pas automatiquement y conduire.
On pressent l’ambiguïté de la situation déjà dans les termes : qu’est-ce que le soin ? De quelle nature est-il ? Qui va l’administrer ? Implique-t-il un traitement ? De quelle nature là-aussi ?
La loi ne répond pas sur ces points. On pense bien évidemment d’abord au suivi psychiatrique. On sait que le plupart des délinquants souffrent de troubles psychiques ou de véritables maladies psychiatriques. Doit-on faire entrer les drogués dans cette catégorie ? Et qu’en est-il des délinquants sexuels ?
Les psychiatres, qui se sont exprimés par la voix de la Fédération de psychiatrie, sont opposés à cette mesure d’injonction de soins. La base de leur opposition (je schématise) est qu’un traitement ou un suivi psychiatrique n’a la moindre chance de succès que s’il est volontaire ou pour le moins librement consenti. C’est aussi la base même de la médecine : les médecins proposent, ils ont même obligation de le faire (« mettre à disposition les moyens de la médecine »), ils n’imposent jamais, hors l’urgence vitale où ils se substituent au patient.
Le problème des délinquants sexuels est d’une complexité particulière : on sait qu’en France, la « castration chimique » (par des substance anti-hormonales) ne peut se faire que sur demande expresse du malade. Mais la loi, ici, n’exclut pas radicalement cette possibilité du cadre de l’injonction de soins.
On pourrait écrire des pages par les problèmes posés par cette article de loi. Très objectivement, Rachida Dati ne m’a pas parue en mesure de les affronter. Notre questionnement a été écarté sans trouver de réponse.
Un point encore, mais il est majeur : les psychiatres de service public manquent cruellement. Les psychiatres libéraux n’ont aucunement ni l’envie, ni d’ailleurs la formation, de pallier à ce type de prise en charge. Questionnée sur ce point Rachida Dati, a dit péremptoirement « je m’engage à ce qu’ils soient en nombre suffisant en 2008 ».
Il faut douze à quinze ans pour former un psychiatre… J’ai pris la parole , de manière un peu osée je l’avoue, pour dire, que pour obtenir le résultat annoncé par le ministre, je ne voyais que la reproduction des psychiatres entre eux.
Une fois encore, la charrue a été mise avant les boeufs (on remarque que je reviens habilement à un thême agricole). La prise en charge médicale devait être pensée, renforcée, avant la loi, pas le contraire. Et sur le plan des principes, il me semble que la décision du juge, adaptée à chaque cas, était plus opportune que la rigueur obligatoirement générale de la loi.
Comments 11 commentaires
29/07/2007 at 15:32 Bruno
Que les psychiâtres se multiplient entre eux ? Cela avancé ainsi, avec impertinence, dans l’hémicycle ? Ah mais : il va falloir voter un texte avec injonction de soins concernant tout élu de la Représentation Nationale émettant des propos, ironiques, insolents ou simplement singuliers sur les bancs de l’Assemblée Nationale !
Mauvaise plaisanterie alots que le sujet est sérieux… Et la chronique toujours intéressante et instructive.
Amitiés.
Bruno
29/07/2007 at 15:49 James
Pour moi, cette injonction de soins montrent de façon exemplaire la nature idéologique de la plupart des propositions électorales de Sarkozy. Il n’en a rien à cirer de la réalité! Disposer des moyens pour réaliser ce qu’il fait adopter d’urgence par le Parlement – c’est petit, c’est mesquin de poser de telles questions! Rappeller que l’expérience dans d’autres pays a montré que cela ne marche pas – on n’ignore même pas de telles petitesses d’esprits râleurs!
La loi Dati ne tient ni compte de l’impossibilité de disposer des centaines de psychiatres formés pour les soins, ni de l’echec de lois similaires aux Etats-Unis ou le durcissement pour les récidivistes n’a montré aucun résultat positif, ni tient elle compte de la situation déjà catastrophique dans les prisons françaises qui ne pourra que s’empirer par le nombre croissant d’incarcérés.
Bravo, Michèle, de dire ouvertement à l’Assemblée ces vérités, dommage seulement qu’il n’y a d’échos que sur ce blog et pas dans nos médias. Mais on en a fait l’expérience déjà au conseil municipal de Bordeaux. Nota bene: il n’ a que la majorité qui connait la vérité!
29/07/2007 at 18:01 F.R.
Cette notion d’injonction de soins, qui peut à priori sembler justifiée, souhaitable, se révèle vite creuse, inapplicable, impossible dès que l’on réfléchit un peu, et pour toutes les raisons que vous énoncez.
Encore une fois, Nicolas Sakozy et son fan-club veulent donner des réponses rassurantes, évidentes, presque faciles, à la population. Elles sont plus agréables à entendre. C’est donc électoralement et commercialement plus payant que de reconnaître les situations et problèmes difficiles à gérer, et qui demandent du long terme, non du court.
29/07/2007 at 19:08 Pierre Cheron
Je crois, FR, que le problème est là : faire un effet d’annonce dans les sujets sensibles. Je connais bien le projet de loi évoqué par Michèle : il n’a aucune chance de diminuer le nombre de récidives. Les juges ont d’ores et déjà la possibilité de "renforcer" les peines en cas de récidive et ils le font, au delà des éxigences de la loi, quand ils pensent que cela est nécessaire. Mais la prévention de la récidive, c’est à la première peine qu’il faut la mettre en oeuvre par des mesures d’éducation, de formation et d’accompagnement à la sortie.
29/07/2007 at 20:10 Nelbordeaux
Merci Michèle, voila un sujet qui était loin de mes préoccupations et pour lequel je dois bien reconnaitre je n’y entend pas grand chose ! Aussi, en suivant les arguments du gouvernements j’etasi pas loin de penser que c’estait tres bien, me voila remplis de doutes et de questionnement, c’est bien cela aiguise mon sens critqiue mais cela montre aussi surtout une chose que ce gouvernement arrive a séduire les personnes qui ne connaissent pas les sujets a grand renfort de communication et s’appuye sur eux pour faire passer ces reformes ! Ce genre de politique n’est pas loin d’une forme de despotisme pour ne pas dire autre chose……
29/07/2007 at 22:14 www/
je crois que la majeure partie des personnes emprisonnées relèvent de la médecine psychiatrique, en tout cas doivent etre accompagnées par des soins. Le problème que vous posez est celui de l’insuffisance des moyens sociaux et médicaux. C’est n’est pas la charrue qui a été mise avant les boeufs mais les moyens financiers qui ne suivent pas.
29/07/2007 at 22:19 dominique poirier
bien sûr c’est tellement rassurant de faire croire que grâce à un médicament miracle ou je ne sais quelle poudre de perlinpimpim on va éviter les viols ou autres horreurs perpétrées,ça calme le citoyen et ça ne coûte rien mais si on voulait être vraiment éfficace il faudrait réflèchir un peu plus.C’est la même chose pour la lutte contre la délinquance, des mots et encore des mots
PAROLES!PAROLES!comme dit lachanson
C’est bien Michèle d’oser intervenir et en plus avec ton humour cela marque encore plus fort ta détermination à lutter contre ces mesures non réflèchies
30/07/2007 at 19:00 Colette
Petite question sans arrière pensée sexiste : Il y a , je crois, dans les prisons, 15 % de femmes, donc 85% d’hommes. Comme je ne crois pas les femmes plus "parfaites " que leurs compagnons, ni ne prétendrai que, plus fines, elles se font moins prendre, j’aimerais que l’on m’explique cette grande disproportion dans la délinquance. Les chiffres sont actuels et français, j’ignore ce qu’ils sont ailleurs, ni ce qu’ils étaient en France il y a 50 ans ou un siècle.
C’est aussi une réponse ou plutôt un argument allant contre les remarques de WWW. Les hommes auraient-ils plus de problèmes relevant de la psychiatrie que les femmes ? pourquoi ?
30/07/2007 at 19:24 Colette
Un sujet lié m’interroge : Il y a une bonne vingtaine d’années, on notait, toujours en France, une baisse marquée des "crimes de sang", par contre une hausse de ma délinquance liée à l’agression sur les biens : cambriolages, vols à la tire, etc. Il semblerait qu’actuellement les atteintes à la personne augmentent fortement, les meurtres (sans qu’ils soient liés au banditisme, règlement de compte…) sont plus fréquents, touchent davantage les jeunes femmes, les enfants. L’enfant est davantage "proie" qu’il y a 20 ou 30 ans. Comme si un verrou avait sauté.
De même, dans le monde entier, le tourisme sexuel, et surtout l’exploitation sexuelle sordide des enfants pauvres par des monsieurs tout le monde bons pères de famille s’est développé, même si des mesures de répression naissent face à cela.
Comment explique t’on ces phénomènes ? Y a t’il ici un psy qui puisse en parler ?
31/07/2007 at 15:30 M.V.
Dans ce monde qui se glorifie d’être moderne quand il est pragmatique et n’est que cela, dans ce monde oû l’on pense pouvoir tout maîtriser, le contrôle s’abat sur nous comme une chape de plomb. Nous sommes surveillés, encadrés, fichés et d’aucun nous prédisent une sorte d’enfer.
Dans ce monde, les troubles psychiatriques et leurs vraies maladies comme dit Michèle, ne peuvent que s’accroître.
Or le principe premier (dans la recherche d’une efficacité) est bien de laisser à l’intéressé, au patient, sa liberté, devant le soin proposé, d’en disposer ou pas. Alors, l’injonction de soins! On va en parler longtemps.
Du point de vue de la protection de la société , ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Il en va comme de la pauvreté avec l’affection psychique, elle doit d’abord être prévenue par la suppression de tous les agents déclenchants de nature sociétale. Après on pourra voir ce qu’il en reste à gérer, à soigner.
Il serait bon d’éduquer sur ce qu’est l’inconscient, comment fonctionne ce psychisme (même les médecins ne bénéficient plus des informations indispensables, à qui l’on fait croire que le médicament suffit). Chacun doit savoir que la névrose ordinaire le concerne et apprendre à porter un regard généreux sur celui que l’on considère comme "malade".
Est-ce encore possible dans ce monde? Je veux le croire.
Pour répondre à Colette, c’est un très long travail de comprendre tous ces phénomènes.
31/07/2007 at 19:42 Michèle
Colette, s’il y a un domaine où nous ne devons pas réclamer la parité, c’est bien celui de la condition pénitentiaire ! Le pourcentage des femmes incarcérées est encore inférieur à ce que vous évoquez : entre 3 et 4 %; Ce ne sont à Gradignan que quelques cellules, beaucoup mieux entretenues que celles des hommes, dans un quartier plus propre comportant une nursery avec, actuellement, deux tout petits et leur maman. La question de la criminalité féminine est très importante. Pourquoi cette différence ? Les femmes font en effet beaucoup moins d’attaques à main armée et d’autres actes de violence. On les incarcère aussi moins. Je voulais que ce soit un sujet de travail dans le cadre de notre association féminiCité , mais nous y avons renoncé par manque de documentation suffisante. Malheureusement, la criminalité « de type masculin » augmente chez les jeunes filles, avec le début d’organisation en « bandes ». Là aussi , la drogue et son commerce ne sont certainement pas pour rien.