Nous sommes tous métis
C’est une phrase de Karfa Diallo, et il en avait le thême d’une manifestation de mémoire et d’une exposition. Cela m’avait paru très profond : il ne s’agissait pas de revendiquer une appartenance, un passé, mais de se situer au contraire dans une communauté de mémoire et de démarche.
Pour moi, c’est aussi le sens des cérémonies à la mémoire de la traite des noirs. Il y en a eu deux ce matin, ce qui parait la négation de ce que je viens de dire : comment cette histoire tragique, éminemment douloureuse, peut-elle être un sujet de séparation. Comment peut-il y avoir des gens qui se souviennent bien et d’autres mal ?
Karfa n’a pas été convié à la cérémonie officielle du 10 mai à Bordeaux et une autre a été organisée, à quelques pas de la plaque (de modeste dimension) incrustée l’an dernier entre les pierres du quai des Chartrons. Avec de nombreux élus de gauche, nous avons assisté aux deux cérémonies.
Celle de Karfa s’est déroulée autour de deux oeuvres éphémères de Françoise Heilmann-Pascall. Cette artiste (par ailleurs élue « scientifique de l’année » lors de la soirée des talents à Bordeaux) avait imaginé une longue chaîne, retenue au sol par un boulet, d’où montaient vers le ciel, retenus par un fil ténu et mobile, des ballons blancs et noirs. Sur les uns étaient écrit « mémoire », sur les autres « oubli ». Et le vent les faisait s’entrechoquer entre eux. Très finement, les ballons noirs portaient le mot « oubli » et les ballons blancs « mémoire »…
Nous allons voir que la longue chaine n’avait pas fini son office symbolique…
Poèmes lus, intermédes musicaux poignants, discours de Karfa, la cérémonie s’est terminée par un lancer de gerbe et de tulipes blanches dans le fleuve.
Aussitôt a commencé la cérémonie « officielle » à quelques mètres de là. Discours d’Hugues Martin, dépot de gerbe à côté de la plaque fichée dans le sol l’an dernier.
Françoise Heilmann m’a proposé de prendre chacune à un bout la longue chaine et les ballons de la première cérémonie et de la porter vers la cérémonie officielle. J’ai préféré que ce soit un ami africain qui le fasse avec elle et nous avons porté tous ensemble son oeuvre d’art éphémère au devant du choeur qui avait entamé des chants après le discours municipal.
La chaîne était nouée si j’ose dire, ou plutôt ce qui fût la chaîne de l’esclavage et du joug, était devenu la chaîne d’union, et les ballons pouvaient jouer gaiement dans le vent et s’élever vers le ciel.
Répondre