Travail du dimanche : des lumières qui datent un peu
Oui, Nicolas Sarkozy et Jacques Attali sont sur ce sujet du travail du dimanche à la pointe de l’actualité … d’ il y a deux siècles. Voici un curieux texte, dont l’origine démontre que les l’éclat des lumières se mesure à l’aune de leur époque.
Il est loisible de lire dans l’Encyclopédie, un plaidoyer pour le travail dominical, au mot : « Dimanche »/ « On peut estimer à plus de vingt millions par an le gain que feroient les pauvres par cette liberté du travail. » …« Que si on leur accordoit pour tous les dimanches la liberté du travail après midi, supposé la messe & l’instruction du matin, ce seroit une oeuvre de charité bien favorable à tant de pauvres familles, & conséquemment aux hôpitaux ; le gain que feroient les sujets par cette simple permission, se monte (…) à plus de vingt millions par an ». (…)
« Quelle aumône ne seroit-ce point qu’une aumône annuelle de vingt millions répandue avec proportion sur les plus pauvres ? N’est-ce pas là un objet digne d’un concile national qui pourroit ainsi perfectionner une ancienne regle ecclésiastique, & la rendre encore plus conforme à l’esprit de justice & de bienfaisance, c’est-à-dire plus chrétienne dans le fond qu’elle n’est aujourd’hui ? A l’égard même de ceux qui ne sont pas pauvres, il y a une considération qui porte à croire, que si après la messe & les instructions du matin, ils se remettoient l’après-midi à leur travail & à leur négoce, ils n’iroient pas au cabaret dépenser, au grand préjudice de leurs familles, une partie de ce qu’ils ont gagné dans la semaine ; ils ne s’enyvreroient pas, ils ne se querelleroient pas, & ils éviteroient ainsi les maux que causent l’oisiveté & la cessation d’un travail innocent, utile pour eux & pour l’état. »
Ce sont les encyclopédistes qui ont écrit ce beau texte, inspiré du « travailler plus… », qui ravira le coeur de Nicolas !
Comments 20 commentaires
23/01/2008 at 18:23 Eric
C’est en effet stupéfiant quand on sait ce qu’ont apporté "les lumières" et l’Encyclopédie.
En effet, la lumière ne brille qu’à la mesure de la pénombre ambiante. Et nous sommes de nouveau dans la pénombre.
23/01/2008 at 18:51 Gérard ELOI
Michèle, ton billet est un chef d’oeuvre tant en style qu’en idées.
Eric, ton "complément" est une perfection question clairvoyance et synthèse.
TVB,donc…
Mais je viens avec une petite devinette : Michèle, ne trouve-tu pas curieux que ton blog soit tombé en panne juste au moment où tu en aurais eu besoin pour commenter en direct les revirements de Sarkozy par rapport à sa position initiale quant aux municipales ?
Si je me permets de poser la question, c’est parce qu’il s’est produit, hier et aujourd’hui, d’autres "bizarreries" sur d’autres sites internet.
Evidemment, je ne prouve rien, et je ne fais pas avancer le débat…
Mais comprendre après analyse une curieuse coïncidence peut aider à gérer d’autres situations dans l’avenir.
Amicalement
GE
23/01/2008 at 20:33 Lucas Clermont
Je rebondis sur cette conclusion de Gérard "gérer d’autres situations dans l’avenir" pour préserver cet espace de débats que sont les commentaires de ce blogue. Tout le monde mesure qu’il est rarissime qu’une personne politique propose un blogue sans filtrer les commentaires.
En l’absence de modérateur, le problème majeur c’est celui des "trolls". C’est à dire une ou plusieurs personnes qui n’ont d’autres buts que de déstabiliser un forum en détournant le fil de discussion. Je suggère que les commentateurs habituels prennent bien connaissance du phénomène en lisant par exemple la première partie de : fr.wikipedia.org/wiki/Tro…
Le meilleur moyen de lutter contre le phénomène c’est de sortir par le haut, soit élever le niveau des débats. Argumenter. Un commentaire qui se résume à (Juppé, Sarkozy…) c’est pas bien et (Rousset, Royal, Delaunay..) c’est bien ou la laïcité on n’y touche pas, etc. ne sont pas des argumentations. Face à de nombreux commentateurs qui gardent leur sang-froid, leur courtoisie, qui argumentent, qui imagent, qui sont détendus et bien l’agressivité, la provocation gratuite, le faux-débat artificiel se remarquent. Et l’on a beau jeu de rappeler la rareté d’un espace sans censure, ce qui en soit donne une image positive d’une députée qui recherche l’échange avec les Bordelais.
A contrario, si on se laisse embarquer par sa susceptibilité, par sa raideur : on a perdu ! Le fil de commentaires est rompu. Tout le monde perd ! Sauf le troll. L’étymologie du mot est évocatrice : c’est une technique de pêche à la traîne avec une ligne à plusieurs hameçons. Vous mordez : nous perdons !
23/01/2008 at 20:45 MYOS
Hors-propos (off-topic): Il parait que tous nos députés ont entonné "tout va très bien, Madame la marquise" après que C.Lagarde ait dit que tout allait bien dans l’économie française.
Je vous imagine bien ;-)! Cela a dû être très drôle!
Il y a eu répétition de chorale dans les sous-sols? Comment avez-vous su sur quelle note commencer? Connaissiez-vous tous les paroles ou bien on vous avait donné des feuilles?
Ah, j’aurais voulu voir cela!
Hélas, cela n’est pas passé au JT (ou alors, je l’ai raté!)
23/01/2008 at 21:27 Gérard ELOI
@ Lucas,
J’ai été agréablement surpris que ma "conclusion" t’ait permis de rebondir sur une mise au point très judicieuse et de grande importance.
Et pourtant, je ne pensais vraiment pas si loin. J’étais réellement en train de me poser des questions, mais pas sur le style des intervenants au blog…C’est marrant comme des préoccupations parallèles finissent par se rencontrer ! Je croyais que les parallèles ne se rencontraient qu’à l’infini…
Je viendrais donc de démontrer-scientifiquement- qu’un passage sur le blog de Michèle vaut une croisière dans l’infini ?
Je n’aurais pas pensé en commençant la journée…Et tout çà est parti d’une panne (?) informatique !
Il y a tant de choses, disait déjà Shakespeare…J’ajoute : Et il y en a encore plus que tu croyais, William ! (Je vais arrêter, car je risque de commencer à lasser)
Amicalement
GE
23/01/2008 at 21:42 Alain
Remarquable, en effet. La situation actuelle telle que certains la voudraient, est calquée sur ce texte issu de l’Encyclopédie. Que disait-on, déjà, de l’esclavage au XVIIIème siècle, et dans l’encyclopédie ? Les lumières ne sont pas tout à fait l’idée que nous nous en faisons.
Eric, je trouve aussi votre remarque assez belle
ce que je trouve "amusant", c’est cette éternelle idée du peuple proche de l’animal, qui ne connait, sitôt laché, que l’ivrognerie, et qu’il faut donc occuper, attaché par le licol à son ouvrage. Déjà, à cette époque, seuls les pauvres se saoulaient, tombaient dans tous les vices. Le riche était par définition un homme de bien, venant d’une famille bien née, qui avait occupations et juste repos en famille. Cela a t’il tellement changé ? les historiens, les sociologues peuvent en attester.
Faire travailler le pauvre est donc toujours lui rendre un grand service, et un double service même. Que ces gens sont ingrats de ne pas le reconnaître !
23/01/2008 at 23:04 MYOS
Ah, mais y’a encore mieux. Au 19e siècle, avant l’invention du repos obligatoire (je crois que c’est 1906), des industriels malins avaient trouvé un moyen imparable pour protéger le pauvre de ses instincts tout en sauvant son âme: ils devaient travailler le dimanche matin, tout en écoutant la messe dite dans leur atelier.
23/01/2008 at 23:08 MYOS
Toujours dans la catégorie: "bonimenteur de l’année"
notre 1er prix avait promis que les vendeurs et vendeuses qui travailleraient le dimanche dans des magasins de meuble le feraient sur la base du volontariat en étant payés double.
Or, le Canard enchainè de la semaine dernière révèle que, maintenant que la loi est passée, qui se retrouve grosjean comme devant?
Car un patron de magasin de meuble peut désormais CONTRAINDRE un employé à travailler le dimanche (si celui-ci avait la moindre velléité de protester), en le payant au tarif normal.
Cela devrait servir de leçon — on vous a promis quelque chose, vous avez eu tout le contraire.
Un peu comme le "président du pouvoir d’achat" qui s’augmente lui d’abord, le même qui dit "on ne peut rien avoir sans contreparties" mais qui ne se pose aucune contrepartie à sa propre augmentation, ni à ses amis millionaires qui ont bénéficié du bouclier fiscal d’ailleurs.
Les efforts, le travail tout le temps, les contreparties à fournir AVANT d’obtenir quoi que ce soit, c’est pour les employés, salariés, et intérimaires.
23/01/2008 at 23:35 Françoise
le texte c’est en effet proche du "travailler plus pour gagner plus"
Mme Lagarde dans son premier discours à l’assemblée à l’occasion du paquet fiscal avait eu les memes intonnations "assez pensé, travaillez maintenant"
24/01/2008 at 00:56 Hector
@ Lucas Clermont:
ce sermon de "Sagesse" est tout de même un peu énervant, surtout de qn qui n’est pas toujours très clair dans ses intentions et brille par son attitude de donneur de leçons. Un peu plus de modestie serait la bienvenue…
24/01/2008 at 10:06 Lucas Clermont
Les emplois contemporains qui pourraient le plus être comparés à ceux du XVIIIè siècle sont ceux d’ouvriers à la chaîne pour l’aspect répétitif et ceux de manutentionnaire ou de manœuvre pour la dureté physique. On constate qu’une façon de dépasser la pénibilité de ces tâches c’est d’espérer l’arrivée de la coupure du week end. C’est un leitmotiv : le lundi ça ne va pas ; le jeudi c’est la veille du vendredi ; et le vendredi on est déjà heureux.
Il est difficile d’imaginer qu’au temps de l’Encyclopédie il y ait eu une revendication populaire de travailler le dimanche. En revanche dans les milieux commerçants, la volonté d’accroitre le chiffre d’affaires a pu inciter à peser sur l’Église pour contourner la règle du dimanche chômé.
On soupçonne dès lors le lien avec notre époque : un groupe prétend vouloir le bien des plus défavorisés quand il ne sert que les intérêts économiques de sa classe sociale.
24/01/2008 at 10:27 michele
Lucas, je ne suis pas tout à fait d’accord. La pénibilité de la plupart des travaux au XVIII ième siècle était extraordinaire. Un exemple, un seul : laver des draps de chanvre, qui une fois mouillés pèsent des tonnes, au lavoir dans l’eau froide. Les "femmes de maison" travaillaient sans relâche avec des instruments primitifs et penser qu’en effet, elles n’avaient aucun moment pour elles et pour leurs propres familles (que peu avaient d’ailleurs) me glace de compassion.
24/01/2008 at 10:48 Lucas Clermont
@ michele
Je me suis mal exprimé alors, parce que je pense exactement ce que tu écris. une façon de dépasser la besogne harassante parfois désespérante c’est d’espérer le repos.
Et j’ajoute qu’il faut prendre conscience que les conditions de travail pénibles d’aujourd’hui ne durent qu’une quarantaine d’heures hebdomadaires.
Le travail physique aujourd’hui peut toutefois présenter encore des caractéristiques des siècles passés. Travailler sur un chantier dans l’humidité, le froid, une dizaine d’heures par jour, ça arrive encore. Être physiquement éreinté dans un entrepôt , avec les mains douloureuses à cause du froid et connaître des fringales comme un sportif de haut niveau… Si p’ticom est par là il dira peut-être un mot de certaines tâches sur une exploitation agricole pour compléter le tableau.
Un des éléments de la pénibilité que l’on oublie c’est également la répétition de brèves séquences. À la chaine, dans un bureau à vérifier des listes interminables ou saisir des textes. C’est aussi la pénibilité psychologique dans les cas de harcèlement moral, de l’isolement, etc.
Et bien le week end, l’attente du week end dont on sait précisément la survenue, cela aide à supporter.
24/01/2008 at 11:00 KF
La France a ratifié la Charte sociale européenne, instrument juridiquement contraignant, dont l’article 2 par. 5 l’engage
"à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région".
24/01/2008 at 11:12 NR
La banalisation du travail du dimanche est un nouvel aspect de la "politique de civilisation" de ce président qui pense que les élections l’ont autorisé à rompre avec tout ce qui constitue le bien-être des citoyens.
24/01/2008 at 11:35 KF
Quelques chiffres "européens " de 2000:
Pourcentage des salariés travaillant le dimanche:
Europe: hommes habituellement 9,9 (France:6,6), parfois 16,6 (France:20,7);
Europe: femmes habituellement 10,7 (France: 16,8), parfois 11,8 (France: 16,8)
24/01/2008 at 14:12 MYOS
Donc KF, si je lis bien vos statistiques, cela signifie que faciliter le travail le dimanche est déjà et donc sera essentiellement une imposition faite aux mères de famille.
Je sens que la droite traditionnelle va vachement apprécier.
24/01/2008 at 15:00 Colette
Bien sûr Michèle, et pas qu’au XVIIIème siècle : Je travaille en ce moment sur l’une des maisons où vécurent certains de mes aïeux, j’en fais réémerger l’histoire oubliée. Cette maison, ses habitants successifs ont tous une histoire bien tangible, ce dont nous ne sommes pas toujours conscients, alors même que c’est pour chacun d’entre nous, et absolument, une richesse personnelle inaliénable.
Un puits n’a été foré près de la maison que vers 1920, avec un système de pompe mécanique que l’on actionnait à la main. Quelques années plus tard, une moto-pompe fut installée et l’eau put couler sur l’évier(mais si, c’est vrai). Puis il y eût l’eau chaude. Avant 1920, les femmes allaient, pour tout, à la rivière située dans le creux du vallon, à une centaine de mètres de la ferme, quelle que soit la saison. Il fallait donc y descendre, et en remonter. Ce n’était guère profond, mais par temps d’hiver, ça ne devait pas être facile. Le lavoir était un simple espace ménagé au sol, en bordure du rivière, sans aucune protection contre le vent ni les intempéries. Les femmes s’agenouillaient sur un bâti de bois qui avait une poignée pour le transporter, et un rebord pour se protéger les genoux de l’eau. On y mettait de la paille pour pouvoir tenir le temps nécessaire au travail. Je vais vous envoyer la photo d’un exemplaire de cet objet et son battoir, toujours présents dans la ferme. Vous allez voir, l’objet n’est pas si vieux !
L’utilisation des lavoirs n’a fortement chuté en France qu’après qu’une politique publique volontariste ait amené l’eau plus près de chaque demeure, assurant proximité et état sanitaire correct de l’eau. Parallèlement, parfois, souvent peut-être, on a tout aussi volontairement cassé les canalisations d’arrivées d’eau des fontaines-lavoir et abreuvoirs, dans les villages, pour contraindre les habitants à utiliser l’eau amenée par le réseau, payante, et donc pouvoir rentabiliser les installations collectives et privées réalisées. Ceci est variable d’une région, d’un département à l’autre, mais s’est étalé jusqu’au milieu des années 60, dans les campagnes françaises.
De même, j’ai appris dans la région où je vivais alors, que toute l’importante campagne de protection par toiture et clôture latérale en bois de ces lieux, dans la seconde moitié du XIX ème siècle, relevait du risque alors reconnu que couraient les femmes : Beaucoup y attrapaient la mort, en froide saison. Et, me disait un élu, ça coûte et ça ne se remplace pas comme une vache, une femme !
Dans les années 80, j’ai vu une femme laver son linge dans un lavoir du vieux Lormont. Riveraine, plus très jeune, elle n’avait pas voulu changer ses habitudes.
24/01/2008 at 15:06 Colette
Je note tout à coup que vous parlez des gens de maison : c’est juste, pour les familles aisées qui avaient du personnel, ou lorsqu’il y avait des espèces d’échanges, d’entraide dans les charges de travail : à chacun son rôle dans la société, on ne nourrissait pas de bouche inutile ! Sinon, c’est une population bien plus large qui représentait en France les lavandières de Portugal
24/01/2008 at 15:58 KF
J’ai donné juste les informations, sans appréciation aucune. A chacun de tirer ses propres conclusions.
Dans la mesure que la mienne puisse intéresser: je serai en faveur d’une limitation rigoureuse du travail du dimanche. Je ne pense pas que l’ouverture ce jour-là pourrait relancer la croissance. Car le pouvoir d’achat n’augmente pas pour autant, les "consommateurs" pourraient juste faire leurs dépenses un autre jour qu’en semaine.
SI j’ai cité la Charte sociale européenne c’est que je pense que le maintien d’un jour de repos commun à tous est un acquis de notre civilisation.