Bordeaux-ghetto
L’hôpital est un lieu de diversité sociale et d’égalite. Egalité devant l’épreuve de la maladie, sentiment d’égalité aussi et de partage entre les professionnels qui savent tous pourquoi ils travaillent et que ce « pourquoi » est le même pour tous.
C’est une grande force et pendant les 45 années que j’y ai passé, je n’ai eu à aucun moment ni le sens, ni la conscience d’une ghettoïsation sociale. Oui c’est vrai, une proportion importante des étudiants en médecine viennent d’un milieu favorisé –majoritairement médical- mais la matière sur laquelle ils travaillent évite l’esprit q caste, qui est d’ailleurs beaucoup moindre que dans certaines grandes écoles.
Depuis dix ans, j’ai pénétré dans la vie publique et depuis cinq je m’y suis consacrée. Cela m’a donné l’occasion de pénétrer aussi –si l’on peut s’exprimer ainsi- notre ville, ses rues, ses résidences, ses barres et ses tours, ses maisons insalubres, où des appartements minuscules s’entassent autour de paliers branlants, ses entrées remplies de poubelles débordantes, ses hautes portes à cuivres rutilants devant lesquelles je fais quelquefois du « délit de sale gueule » en me retenant d’y sonner…
J’y découvre, chaque année davantage la ghettoïsation, cette ghettoïsation redoutable qui finira par précipiter notre société dans le mur, qui fait que plusieurs mondes s’ignorent et finissent pas se craindre puis se haïr.
Hier dans un quartier que je ne veux pas nommer, connu pour le nombre de ses belles résidences modernes, j’ai eu l’impression d’un clônage. Mêmes personnes, mêmes âges autour et au delà du mien, mêmes appartements extrêmement soignés, dont un seul meuble signe le niveau social, même tenue « casual chic » de ceux qui m’ouvraient la porte, mêmes paroles, pas une note discordante et je l’avoue, pas non plus le plus petit signe d’intérêt pour le très beau document en forme de lettre que je leur apportais de la part de François Hollande. Politesse, quelquefois même courtoisie, mais cette distance des sachants et des entre-soi.
Je suis imperméable à toute forme de haine sociale dans quelque direction qu’elle s’adresse. Je comprends parfaitement qu’un couple aisé ou très aisé, une veuve du même métal, souhaite vieillir dans un cadre confortable à l’abri du bruit et des nuisances. Ce que je ne comprends pas, ce que je déteste même, c’est l’absence de curiosité de l’autre, l’absence de connaissance de l’autre, que finit par produire l’isolement dans des cocons sociaux. Relativement véniel à la fin de la vie (encore que), il est dramatique au début. Les ghettos de riches sont presque plus dangereux que les ghettos de pauvres. Que deviendront des enfants qui n’ont rien vu d’autres que leurs semblables, rien connu d’autres que les problèmes, les aspirations, les limites, les vices comme les vertus d’une caste alors que cette caste est une minorité et, malgré tout, une minorité menacée ?
Notre ville ne fait rien contre cette ghettoïsation. Des quartiers sont à l’abandon (cours de la Somme et de l’Yser), d’autres sont négligés, traités chichement, mal nettoyés au profit des plus riches. Cet été, la Mairie avouait qu’elle avait concentré les moyens de nettoyage dans les « zones touristiques », ce qui est une manière habile de dire la même chose.
Au dernier conseil de quartier qui se tenait au Grand Parc, on est passé assez rapidement sur la « réhabilitation » du cours Xavier Arnozan. J’invite les Bordelais à s’y rendre et à comparer l’état de son allée centrale, considérée comme indigne, avec celle comprise au Grand Parc entre le centre social et les barres GHI. L’indignité a Arnozan n’est pas mesurée à la même aune qu’ailleurs.
Plus gravement encore, les logements sociaux (trop peu nombreux) sont construits… dans les quartiers sociaux. Et au même conseil de quartier, a été présentée la construction de nouveaux logements par in Cité là où ils ne sont déjà que trop nombreux. Ceci alors même que l’Etat a vendu un bien de grande surface rue du jardin public à des promoteurs privés. Hélàs, François Hollande n’avait pas été élu encore : ces biens seront s’il est élu demain donnés aux collectivités à condition qu’y soient construits dans les 5 ans des logements sociaux.
Tout cela n’est pas seulement négligence : les plus pauvres maintenus entre eux se contrôlent mieux. Une habitante de la Bastide venait me voir il y a quelques jours pour me mettre au courant de la mobilisation de la communauté maghrébine par l’adjointe de quartier pour « récupérer le poste ». Récupérer le poste dans son langage, c’était bien sûr rendre à Alain Juppé le mandat qu’il considère de sa propriété. Et on lui demandait pour cela d’organiser des réunions où l’on viendrait expliquer, promettre et d’une certaine manière acheter.
Sauf que… Cette ghettoïsation tolérée, favorisée, non combattue, est mortelle. Elle est génératrice de haine, de violence et même de la part des plus pacifiques dont je suis, de révolte. Comment peut-on naître si égaux et mourir sans l’avoir jamais su ?
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