Un ennemi de trente ans
Rien à voir avec Chirac et Balladur qui ont popularisé cet âge de l’amitié ou de l’inimitié, il s’agit du SIDA. Trente ans précisément aujourd’hui qu’une publication médicale a porté à la connaissance du monde -à l’interrogation bien davantage à cette époque- la maladie qui, année après année, allait charrier devant elle 25 millions de morts.
Je me souviens très précisément, quelques semaines plus tard de son apparition en France : un petit « poster » d’un mètre sur deux lors d’une réunion scientifique faisait état de six cas de candidoses cutanées profuses dans un contexte particulier d’homosexualité et d’héroïnomanie. Nous en étions à l’heure des interrogations.
Bien des étapes ont passé. Le SIDA a ouvert une nouvelle pratique médicale : celle du soin à des malades totalement informés, quelquefois plus au courant de la dernière actualité que leurs médecins eux-mêmes, et dans les premières années pleinement conscients de leur sort et des délais qui leur étaient impartis. A Bordeaux, les malades étaient initialement principalement soignés dans mon service puis l’évidence est apparue qu’ils constituaient une spécialité en eux-mêmes où l’actualité allait très vite, et je n’ai plus pris en charge pour ma part que ceux qui présentaient une forme particulière de cancer cutané, la maladie de Kaposi.
Où en sommes-nous ? Le SIDA a paru se familiariser avec notre société en même temps que les progrès thérapeutiques qui font que dans nos pays riches la maladie n’est plus mortelle. La deuxième partie de la proposition précédent est une immense bonne nouvelle, la première ne l’est pas, car elle a fait se relâcher l’attention et les efforts de prévention.
Plusieurs éléments ont bouleversé le statut de la pandémie. Le premier, immensément positif, immensément impérieux pour les Etats, est que nous avons les moyens d’empêcher la contamination et donc de venir à bout de la maladie sans avoir encore de vaccin ni de thérapeutique radicale, en l’empêchant de se propager si nous investissons suffisamment, là où il faut et de manière coordonnée. Prévention, éducation sexuelle et relationnelle et plus encore le fait que les personnes traitées convenablement ne sont majoritairement plus contaminantes.
Cela n’ira pas sans efforts, ou plutôt sans poursuites des énormes efforts déjà engagés (de nombreux pays, comme le Cambodge d’où je reviens ont stabilisé ou réduit la prévalence de la maladie). Six millions de personnes ont accès aux soins, dix en sont encore éloignées dans les pays à ressources réduites ou intermédiaires. Dans les pays en grand progrès, l’accès au traitement n’est pas égal (les femmes en particulier sont défavorisées de ce point de vue aussi) et, si la première ligne de traitement est souvent accessible son coût ayant été réduit de 1000 à 100 dollars par an), ce coût reste très élevé pour les lignes thérapeutiques suivantes.
La féminisation de la pandémie est un deuxième élément majeur : la parité dans l’état sérologique ne sera combattue que par la parité politique. Cela parait presque une boutade, c’est aujourd’hui une exigence dont les pays en développement prennent toute la mesure et pour lesquels le SIDA peut constituer un moteur de l’évolution des mentalités. Changement des moeurs et des usages, éducation des filles, lutte contre la violence envers les femmes et les filles, âge de la nuptialité et de la grossesse… ne progressent que dans les pays où les femmes ont accès aux responsabilités et se portent en charge de faire évoluer les lois. En réalité, cette question illustre une fois encore l’éternelle question de l’antériorité de la poule ou de l’oeuf : les femmes plus éduquées arrivent plus vite aux responsabilités et oeuvrent pour l’éducation des femmes. Seulement on vient de comprendre qu’on ne pouvait plus attendre le progrès pas à pas et qu’il fallait forcer la parité politique pour accélérer le changement des moeurs et des comportements sans lequel la contamination ne sera pas maîtrisée. J’ai évoqué la question dans un précédent billet.
S’ajoutent deux questions sur lesquelles je reviendrai : le plus fort accès au dépistage dans tous les pays (un tiers des Français séropositifs ne le savent pas !) et… le rôle des religions.
Le SIDA est au coeur de l’évolution de nos sociétés et au coeur des relations internationales, en particulier du partenariat nord-sud. Les politiques y sont aussi utiles que les médecins ou plutôt, les uns ne peuvent rien sans les autres. Quelques aspects de notre politique nationale paraissent bien dérisoires en comparaison.
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