Le modèle des EHPAD doit être revu en profondeur
Aujourd’hui, l’ensemble des personnels des EHPAD , soignants, administratifs, auxiliaires, titulaires, du secteur public comme du secteur privé est en grève. A côté d’eux, des familles de ces grands âgés vulnérables qui ne peuvent eux-mêmes manifester leurs volontés, leurs besoins et leur détresse.
C’est un événement suffisamment considérable pour qu’une réponse leur soit apportée. En 2014 quand nous avons « bouclé » la loi dite d’adaptation de la société au vieillissement (ASV), elle était encore présentée comme l’acte I d’une loi plus complète, embrassant les deux générations d’âgés que la longévité nous a donné à connaitre.
Cet acte II n’a malheureusement pas eu lieu pour des raisons budgétaires. Remis à plus tard, quand déjà il apparaissait comme une évidence et comme une urgence de revoir le modèle de ces « Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes ». D’emblée le manque apparaît : s’agit-il seulement d’héberger ou est-il question de prendre soin ET de soigner ?
Dans leur structure, ces établissement comportent 3 secteurs : hébergement, dépendance, médicalisation, qui répondent à des financements différents. La « goutte de trop » dans le déclenchement de la grève a été la mise en place de la convergence tarifaire, c’est-à-dire l’unification de la tarification publique selon le degré de dépendance de chaque malade. Cette convergence, j’étais parvenue à en repousser l’idée, car elle revient à pénaliser les établissements -publics généralement- qui étaient les mieux dotés pour renflouer les autres. Cela paraît justice, mais cette justice est un nivellement par le bas. Imagine-t-on de tarifer un CHU en pointe pour la qualité des soins, l’innovation.. à égalité avec un établissement moins avancé ?
La justice est bien évidemment de mieux doter les établissements qui aujourd’hui le sont le moins sans porter préjudice aux autres. La question essentielle dans ce débat est le taux d’encadrement, c’est à dire le nombre de personnel par résident. de 0,7 pour les plus favorisés à 0,5, voire moins pour les autres.
La question sous-jacente est aussi : un EHPAD doit-il être considéré comme un établissement de soin ou un lieu de résidence ? Allons plus loin : la perte d’autonomie est-elle une maladie ?
L’entrée de plus en plus tardive en EHPAD (moyenne 85 ans) et le pourcentage de plus en plus élevé des personnes atteintes de démences (Alzheimer en premier lieu) fait régulièrement pencher la balance du côté de l’établissement de soins. La perte d’autonomie n’est qu’un signe d’une maladie, donc doit être traitée, accompagnée et prise en charge au même titre que la maladie. Ce n’est aujourd’hui pas le cas et la tarification relève de 3 contingents : maladie (sécurité sociale), perte d’autonomie (conseil départemental), hébergement (participation individuelle du résident et/ou de sa famille).
Il est évident qu’il faut aujourd’hui revoir le modèle des EHPAD. Et d’abord, faut-il les considérer comme toutes semblables ?
Les pertes d’autonomie les plus légères ont aujourd’hui vocation à relever du soin à domicile ou de l’accueil en « résidences autonomie » (ce que l’on appelait « foyers logements » ou « résidences personnes âgées ») qui permettent aux âgés de conserver une part importance d’indépendance. Ce modèle, insuffisamment déployé sur le territoire, doit être favorisé chaque fois que possible.
Concernant les EHPAD eux-mêmes, il faut réfléchir à divers degrés de médicalisation ; comme il y a des maternités de catégorie 1 (ou 2 et 3) suivant le niveau des actes qui y sont accomplis. Ainsi, j’ai soutenu l’idée (et la réalisation, par exemple à Bordeaux) d’EHPAD universitaires qui pourraient associer aux soins, l’innovation et la recherche.
La certitude, c’est qu’aujourd’hui un « plan grand âge », tel que nous l’avions espéré dans les suites de la loi ASV, est une urgence. Comme la Ministre Agnès Buzyn je rejette tout ce qui s’apparente à un « EHPAD bashing » au regard de l’engagement et du dévouement présents dans ce secteur. Je vais le dire tout cru : je n’ai rencontré nulle part ailleurs des personnels aussi déterminés, attentifs, exigeants alors qu’ils gagnaient aussi peu. Mais justement, ce personnel souffre, craque et il faut répondre à cette souffrance par une amélioration du taux d’encadrement, une revalorisation des salaires et une évolution des carrières.
Là plus que partout ailleurs, dans ce secteur si sensible, si profondément humain, on ne peut accepter plus longtemps qu’il y ait d’une part une mauvaise qualité des soins du fait de la surcharge de travail et que d’autre part, certains grands groupes connaissent une croissance à deux chiffres et apparaissent comme une cible remarquable d’investissement boursier.
Je le dis parce que je le pense : j’ai grande confiance en la détermination et la finesse d’ Agnès Buzyn pour parvenir à rallier à la fois les membres du Gouvernement et le Président de la République à mettre ce sujet au centre des obligations sociales et éthiques de ce quinquennat.